I. Présentation de la pièce

AMPHITRYON est une comédie en trois actes et en vers libres de Molière, pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673), créée à Paris au théâtre du Palais-Royal le 13 janvier 1668, et publiée à Paris chez Jean Ribou la même année.

Le Tartuffe restant décidément interdit — le 5 août 1667, Lamoignon avait suspendu les représentations de sa version adoucie (l’Imposteur), ensuite de quoi la troupe était restée sept semaines sans jouer —, Molière directeur de théâtre mit en demeure l’auteur Molière d’étoffer son répertoire. Celui-ci se tourne alors vers l’Antiquité, et précisément vers Plaute (traduit récemment, en 1658) à qui il emprunte successivement le sujet de deux comédies, Amphitryon et l’Avare. Double garantie de succès pour Amphitryon: les Sosies de Rotrou (1636) ont créé une vogue et l’actualité princière donne un piment nouveau au thème du glorieux cocuage. Louis XIV vient en effet de ravir son épouse au marquis de Montespan qui, pour le moment, se tient coi: «Un partage avec Jupiter / N’a rien du tout qui déshonore» (Amphitryon, v. 1898-1899), il peut même susciter des espérances. Celles du marquis furent déçues, et probablement aussi celles du dramaturge. Malgré la présence du roi et de la cour le 16 janvier 1668, malgré un compte rendu enthousiaste du gazetier Robinet, il fallut rapidement soutenir la pièce par l’adjonction du farcesque Médecin malgré lui. Elle sera imprimée dès le mois de mars, avec un Sonnet au roi sur la conquête de la Franche-Comté qui n’ajoute rien à la gloire de Molière. Amphitryon rencontrera un succès honorable à la Comédie-Française jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, après quoi il ne cessera de décliner.

II. Résumé d'Amphitryon par actes

Acte I : 

Jupiter est de nouveau amoureux d’une mortelle. Il a pris les traits du général thébain Amphitryon, retenu aux armées, pour s’introduire auprès de sa jeune femme Alcmène et jouir de ses faveurs. Mercure vient demander à la Nuit de se faire plus lente afin de prolonger les plaisirs du roi des dieux (Prologue).
Sosie, valet d’Amphitryon, arrive du camp de son maître pour annoncer à Alcmène la victoire des Thébains et le proche retour de son époux. Mais Mercure, qui a pris la ressemblance de Sosie, fait bonne garde et empêche à coups de bâton son «original» d’accomplir sa mission. Jupiter et Alcmène se séparent avant l’aube. Leurs adieux pleins de tendresse éveillent les regrets de Cléanthis, qui déplore la froideur de Sosie, son mari depuis quinze ans. Elle en fait reproche à Mercure, qu’elle prend pour lui, mais le messager des dieux n’en a cure et conseille à la matrone de se choisir un galant.

Acte II: 

Amphitryon est de retour. Il ne comprend rien à l’histoire que lui raconte Sosie de sa rencontre avec un autre lui-même. Alcmène paraît et s’étonne de voir revenir si tôt l’époux qu’elle vient, croit-elle, de quitter: cet accueil ne ravit pas Amphitryon, encore plus stupéfait — et inquiet — d’apprendre d’Alcmène qu’il a passé la nuit avec elle. Il se juge trahi: elle s’indigne de sa mauvaise foi. Les deux époux se quittent fort aigris l’un contre l’autre. Sosie craint pareillement que Mercure n’ait abusé de sa ressemblance pour prendre sa place auprès de Cléanthis: il est vite rassuré. Mais voici de nouveau Jupiter, «sous la forme» toujours d’Amphitryon. Il réussit, à force de langoureux hommages, à se faire pardonner par Alcmène les outrageants soupçons dont Amphitryon vient d’accabler sa femme. Pour fêter la réconciliation, il ordonne à Sosie d’aller inviter les officiers de l’armée victorieuse.

Acte III: 

Le véritable Amphitryon se présente à la porte de sa maison pour reprendre avec Alcmène la discussion sur les événements de la nuit précédente. Mais Mercure a remplacé Sosie, et il n’ouvre pas la porte. Non content d’insulter le général, il lui apprend que l’autre Amphitryon est à l’intérieur avec Alcmène. Fureur du mari bafoué: il roue de coups le vrai Sosie qui arrive avec les officiers. Lorsque Jupiter-Amphitryon se montre sur le seuil, ces derniers inclinent à le reconnaître pour leur chef et acceptent son invitation à dîner. Sosie veut les rejoindre, mais en est empêché par Mercure. Avec les compagnons qu’il a rassemblés pour sa vengeance, Amphitryon revient à la charge: Mercure alors dévoile le mystère et Jupiter «dans une nue», pour consoler son rival humain, lui annonce qu’Alcmène mettra au monde un héros — Hercule.

 

 

III. Analyse et commentaire de la comédie

L’histoire d’Amphitryon est l’un des grands mythes indo-européens, déjà présent chez Homère et Hésiode. Il est alors ordonné à la geste d’Héraclès et signifie l’union de la Terre et du Ciel dans l’engendrement d’un être supérieur à l’humanité. Le mythe cependant se dégrade vite. Matière à épopée ou tragédie, il fournit un sujet de drame satirique, puis de comédie, à mesure que les dieux apparaissent plus humains — Zeus/Jupiter devenant «un coureur de guilledou» (A. Ernoult) à qui Hermès/Mercure sert de valet-entremetteur. Le sens religieux disparaît donc tandis que passent au premier plan la tromperie dont est victime Amphitryon et le moyen de sa réussite, à savoir la ressemblance de Jupiter et d’Amphitryon, sur laquelle les textes les plus anciens ne disent mot. Molière se situe à l’évidence sur cette trajectoire démythificatrice, même si la possible identification du Roi-Soleil au roi des dieux le retient dans les bornes d’une courtisanerie au demeurant nuancée d’ironie. Outre que la promesse d’une naissance héroïque n’oriente nullement l’action, qui consiste dans les péripéties de l’adultère céleste, un reste de la mode burlesque des années 1650 achève d’humaniser les dieux: Mercure fatigué s’assied sur un nuage (preuve que l’emploi des «machines» peut paradoxalement exhiber la faiblesse des puissances), Phébus est accusé d’avoir «trop pris de son vin» (v. 275) et le même Mercure remonte au ciel se «débarbouiller» (v. 1 885) avec de l’ambroisie.

Cette mythologie pour «hôtel du libre-échange» est moins l’objet comique de la pièce que l’espace qui permet au comique de se déployer. Celui-ci, au plan des personnages, repose principalement sur Sosie. Non seulement parce qu’il est battu, mais parce que son dédoublement en Mercure (à la différence dudédoublement d’Amphitryon) exprime en quelque sorte son essence: Sosie est double dès son entrée en scène, quand il joue à la fois le rôle d’Alcmène et le sien propre; il est double en tant qu’esclave, puisqu’il appartient à un autre autant qu’à soi (v. 709-712); il est double en tant que lâche qui doit mettre à couvert ses épaules et son dos par des allures de matamore («Si je ne suis hardi, tâchons de le paraître», v. 305). La structure même de la pièce crée le comique en ce qu’elle reproduit tout entière le schéma du double: en inventant le personnage de Cléanthis, Molière met simultanément en parallèle et en opposition le triangle des maîtres (Jupiter-Amphitryon-Alcmène) et celui des serviteurs (Mercure-Sosie-Cléanthis). La souplesse duvers libre lui permet d’accentuer le contraste entre le registre de l’amour noble, où de véritables stances font alterner l’octosyllabe avec l’alexandrin, et celui de la familiarité, où prédominent les mètres courts. Mais le plus grand plaisir que donne Amphitryon est sans doute celui du quiproquo, car ce qui est incompréhensible aux personnages humains de la pièce ne fait pas mystère pour le spectateur: par là, nous sommes identifiés aux dieux, métaphores de l’imagination créatrice du dramaturge.

                                   G. FERREYROLLES in Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française. © Bordas, Paris 1994

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