La musique avant toute chose? Présentation du thème

Le thème de CGE des classes de BTS pour l’année 2020-2021 se présente sous forme d’une question : « De la musique avant toute chose ? ». Il est très rare qu’un thème de culture générale prenne une forme interrogative, c’est pour cela que l’analyse de ce thème devrait tenir compte de cette forme plutôt inhabituelle.

L’intitulé du thème est la transcription exacte du vers qui ouvre « l’Art Poétique » de Paul Verlaine, un poème composé en 1874 et publié dans le recueil Jadis et Naguère. Il ne s’agit donc pas seulement de la musique au sens où on l’entend habituellement, c’est-à-dire une composition à l’aide de notes, jouée par un ou plusieurs musiciens à l’aide d’instruments, et accompagnée éventuellement de mots chantés. Pour Verlaine, c’est un conseil qu’il donne au poète et qui consiste à faire passer la musicalité des sons avant les autres considérations métriques et prosodiques: c'est la musique dans le sens d’une suite de sons d’une langue qui, par leur agencement, rappellent la musique. Il s'agit donc de la musique dans toutes ses formes, de tout ce qui contribue au caractère poétique et participe de l'harmonie du monde. 

La musique est un besoin universel et intemporel

La musique est partout dans nos existences (au point que, parfois, sa présence excède notre besoin dans les lieux publics : mieux on aime la musique, plus on éprouve le besoin de savourer aussi le silence). Elle vient nous solliciter par la radio, la télévision, le cinéma, le CD : un seul passage de la Neuvième Symphonie au petit écran, un seul film de Bergman sur la Flûte enchantée atteignent plus d’audi­teurs, conquièrent plus d’amoureux peut-être que cent quatre-vingts ans dans tous les opéras et les concerts du monde ; le disque, la cassette et le CD après ont ressus­cité pour nous des centaines de chefs-d’œuvre réservés jusqu’ici à la seule pâture des rats de bibliothèque et des rats proprement dits, ou du moins au seul plaisir de rares connaisseurs. Et à cet essor de la diffu­sion musicale répond un développement accru de l’activité et de la pra­tique musicales. Les esprits chagrins allaient répétant que la proliféra­tion des appareils audiovisuels et des supports numériques condam­neraient à l'extinction la race des instrumentistes non professionnels: c’est le contraire qui s’est révélé vrai. 

La musique nous concilie avec nous même

A s’en tenir là, l’essor actuel de la musique semblerait encore trop lié à des motivations socio-culturelles si l'on n ’ajoutait aussitôt l’essentiel: la musique est un besoin du cœur et de l’imagination ; et si elle est davantage un besoin de notre temps, c’est qu' elle répond davantage encore aux besoins du cœur et de l’imagination de nos contemporains. La fonction sacralisante de la musique, les humains de la préhistoire y avaient déjà recours, sans aucun doute. La fonction stimulante de la musique, on la connaît depuis qu’il existe des musiques guerrières. La fonction érotique de la musique, on la retrouve dans les fêtes, les festins et les noces en tout temps et en tout lieu. La fonction pacifiante de la musique, on la connaît depuis les anciens mythes d’Orphée, désarmant les divinités infernales par son chant, et de David, jouant devant le roi Saül pour calmer ses accès de mélancolie furieuse. Mais le rôle que joue la musique dans notre vie va bien plus loin si nous lui ouvrons notre porte la plus secrète (et Beethoven aura été le premier à le proclamer en pleine conscience) : elle est la médiatrice qui nous réconcilie avec nous-même, qui nous donne accès à cette région inti­me, au fond de nous, où nous rencontrons enfin notre moi (conscient et inconscient réconciliés parfois comme par miracle) en pleine liberté.

La musique est un puissant moyen de communion

A mesure que notre civilisation se fait plus abstraite, plus fonction­nelle, plus collective, plus minutée (par un processus qu’il serait indis­pensable d'améliorer sur plus d’un point, mais qu’ il serait vain de refu­ser tant la trajectoire d’ensemble est à la fois inéluctable et valable), nous éprouvons davantage le besoin de multiplier et d'approfondir les ressources de notre concret, de notre fantaisie, de notre singularité. Une des merveilles de la musique, c’est qu’elle est le puissant moyen d'une communion au sein de laquelle chacun demeure bienheureusement solitaire, et unique dans ce qu 'il ressent. La sensualité d'une cla­rinette ou d’un violoncelle, la respiration mélodique d’un chant, l’inat­tendu d’une modulation imprévisible qui recrée toute la lumière du paysage, le surgissement d’un rythme qui nous arrache à l’usure de nos fatigues, l'éclat soudain d'un timbre ou ¡’épaississement somptueux d’une complexité harmonique qui nous révèlent que nous n’étions pas encore au terme de notre émotion ou de notre joie, comment nous en passer ?

La musique a le pouvoir, double et unique, de nous délier de toutes les entraves extérieures et de nous lier par le fond de nous-même à tout le devenir de l'univers. Elle ne s’oppose pas à la civilisation qui est la nôtre; elle nous permet d'y vivre dans la liberté, qu’il faut toujours reconquérir, de nos tendresses et de nos rêves, de nos désirs et de nos élans.

Brigitte et Jean Massin

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