EXPRIMER UNE OPINION : EXEMPLE

Julien Green (né en 1900), est un écrivain français d’origine américaine, aux héros tourmentés (Adrienne Mesurât 1927, Minuit 1936). Il évoque ici la création roma­nesque et prend position sur la question souvent débattue des rapports de la fiction et du réel.

« On croirait que ce qui est vrai dans la vie est vrai d’une façon absolue, ou en tout cas devrait être vrai dans un roman dont le but est de donner une image de la vie. Mais il n’en va pas ainsi. Rien de plus inerte que certains romans de l’époque dite naturaliste et qui cependant furent écrits avec un souci d’exactitude presque maladif. Les fiches, les notations méticuleuses n’ont jamais pu donner la vie à un roman. Il y a là une loi mystérieuse à laquelle on n’échappe pas. Pour écrire un roman qui ait quelque chance de durer, c’est-à-dire que deux ou trois générations — pas beaucoup plus — puissent se passer de main en main, il est nécessaire d’avoir ce qu’on pourrait appeler le sens de la vie, sans quoi toutes les observations du monde ne serviront à rien.

Je ne dis pas que l’observation soit inutile ; elle est au contraire indispensable, mais il n’empêche que les mots les plus vrais que prononcent les personnages de Balzac ne soient des mots selon toute probabilité inventés. Balzac retrouvait le secret de la vie en inventant, et qu’est-ce que l’invention, en effet, sinon l’acte par lequel on trouve1 ? L’observation et le souvenir sont les deux sources de l’invention, mais ce n’est ni en observant, ni en se souvenant que le romancier s’apparente à la vie, c’est en inventant. La vie invente sans cesse. Il est vrai que, de temps à autre, la vie qui est un fort vieux romancier a des heures de lassitude et qu’elle tend à se répéter, mais ce n’est pas en copiant ce qu’elle a déjà écrit que nous pouvons produire le même effet qu’elle, c’est “en inventant comme elle fait, avec la plus grande liberté possible. Du reste, nos inven­tions, même celles que nous jugeons les plus audacieuses, sont bien timides compa­rées à celles dont la vie nous fournit l’exemple. Je voudrais bien savoir quel romancier oserait écrire une vie comparable à celle de Napoléon et espérer être cru, et j’admire les critiques qui lisent les romans et qui, devant tel ou tel épisode hors de l’ordinaire “quotidien, s’écrient : « Ceci n’est pas vraisemblable ! » Ne lisent-ils jamais les jour­naux ? Le journal, avec toutes ses incohérences et le pitoyable laisser-aller de son style, n’en demeure pas moins une page de roman extraordinaire. L’erreur de la plu­part des critiques est de s’imaginer que la vérité est nécessairement banale et qu’en fai­sant banal et ennuyeux on reste dans le vrai. C’est un point de vue bien timoré. Je ne “veux pas dire que la vérité romanesque soit dans le fantastique, mais bien que la vie n’a jamais reculé devant aucune invraisemblance et qu’elle se moque de la critique. Or la vie est le modèle suprême de tous les romanciers. (...)

Si le romancier tire la matière de ses livres de son expérience personnelle, il est néces­saire qu’il sache l’art de transmuer la vie en roman, car la vie est un roman qui a “besoin d’être récrit. Or cette transmutation est extraordinairement difficile à réussir. Comment se fait-elle ? Pour ma part, je n’en sais rien. »

Julien Green (Bac. Liban, sept. 1986)

COMMENT EXPRIMER UNE OPINION : OBJECTIFS ET TECHNIQUES

La formulation d'une opinion peut se faire de manière implicite ou explicite. Dans le premier cas, seule la sagacité du lecteur permet de repérer l'opinion émise. En effet, aucun repère, aucun signal n'introduit celle- ci. Dans le second cas, l'opinion est introduite de façon explicite : on recourt à un verbe qui désigne l'action de penser, de juger, de s'exprimer, on utilise des substantifs tels que « formule », « opinion », « sentiment », « avis », « conviction », « thèse », etc. Le sujet des verbes, les déterminants des substantifs renseignent sur l’identité de l'auteur de l’opinion.

 

Objectif

Méthode

Techniques à utiliser

Présenter sa propre opinion

On revendique clairement la « paternité » de l'idée. Il faut que le destinataire comprenne sans ambiguïté que l'opinion est celle de l'auteur du texte, et non pas une opinion générale.

Exemple : dans le texte de Julien Green, de la ligne 1 à la ligne 10

  • Utiliser le pronom je, ou bien le nous, mais il faut savoir que le nous marque une certaine modestie (ne pas oublier dans ce cas, d'accorder au singulier — au féminin ou au masculin).
  • Choisir les tournures : à mon avis..., pour ma part..., etc.
  • A éviter : la répétition de je pense que..., j'estime que...

Présenter sa propre opinion et lui donner une portée générale

Il est possible de ne pas spécifier l'origine du point de vue. C'est alors au destinataire d'examiner cette opinion et de juger si lui- même la considère ou non comme universel­lement recevable.

Exemple : de la ligne 11 à la ligne 20 ou de la ligne 30 à la ligne 35.

  • Recourir à une tournure impersonnelle : il semble que.
  • Utiliser le pronom on. On souligne le plus souvent...
  • Trouver une formule frappante .

Reprendre une opinion à son compte

On réutilise et on cite l'opinion ou le lieu commun.

Exemple : a beau mentir qui vient de loin.

  • Utiliser le on ainsi qu'une tournure imper­sonnelle. Ne pas citer l'origine du point de vue.

Présenter une opinion

On rend compte fidèlement de l'opinion d'autrui, sans fournir aucune indication sur la façon dont on juge cette opinion.

  • Préciser l'identité de l'auteur de l'opinion (nom, catégorie sociale, profession...) ou res­ter vague (certains..., d'autres...).
  • Résumer l'idée ou la citer.

Présenter et commenter une opinion

On fournit deux informations :

  1. ce que pense autrui ;
  2. ce que l'on pense personnellement.

Ces deux informations sont bien distinctes, pour que le destinataire fasse clairement la part entre la pensée d'autrui et le commen­taire personnel.

  • Selon le cas, présenter l'auteur de l'opi­nion, ou rester vague.
  • Résumer l'idée ou la citer.
  • Faire un commentaire explicite (exemple : lignes 27-30) et qualifier positivement ou négativement cette opinion ou celui qui la soutient.

Confronter plusieurs opinions

  1. On renforce une opinion en présentant d’autres points de vue allant dans le même sens.
  2. On met en évidence les divergences d'opi­nion sur le même sujet.
  • Résumer chaque point de vue ou faire une citation.
  • Enchaîner logiquement ces points de vue.
  • Présenter en dernier l'opinion à mettre en relief..

 

Afin d'affirmer avec plus de vigueur son opinion, il est possible de donner l'impression d'un dialogue avec son interlocuteur :

  • En devançant les éventuelles objections de l'interlocuteur. Exemple : ligne 17 l'auteur fait une concession pour mieux réaffirmer ensuite son point de vue.
  • En corrigeant par avance certaines erreurs d'interprétation de l'interlocuteur. Exemple : l'auteur met en garde contre certaines extrapolations (ligne 11 et ligne 30).
  • En formulant une question rhétorique. Exemple : un lecteur aurait sans doute aimé poser la question de la ligne 36, qui introduit habilement une nouvelle réflexion de J. Green. 

 EXERCICES POUR BIEN EXPRIMER UNE OPINION

Exercice 1 : Les verbes d'opinion

Certains des extraits comportent des termes désignant l'action de penser ou de s’expri­mer ; repérez ces mots. Déterminez à qui doit être attribuée l'opinion présentée ; justifiez votre réponse.

  • Les philosophes des Lumières ont estimé que com­battre les préjugés était une des tâches des intellectuels.
  • La question est de savoir si cette adaptation cinémato­graphique a des qualités esthétiques ; mon sentiment à ce sujet est que ce film fera date dans l’histoire du cinéma.
  • On peut avancer qu’il y a deux sortes de romans : ceux dont on n’a jamais fini d’explorer la richesse, ceux qui, une fois « consommés », n’ont plus de secret.
  • A ce discours alarmiste, nous pourrions présenter l’objection suivante : il existe tout de même des hommes de bonne volonté.
  • « L'homme moderne s’enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupé­fiants, d’excitants... » Valéry

Exercice 2 : exprimer sa propre opinion ou celle d'autrui

Pour chacune des phrases suivantes, dites si elle présente une opinion personnelle, un lieu commun, ou si elle reproduit l'opinion d’autrui de façon neutre ou partiale.

  • On ne peut que souhaiter que ce film
    remporte le succès qu’il mérite.
  • Nous apprécions les efforts consentis par la ville pour aménager des espaces verts.
  • D’après les experts, les causes de l’accident seraient d’origine criminelle.
  • On s’imaginait donc que les progrès scientifiques garantiraient dans un proche avenir le bonheur de l’humanité ?

Exercice 3 : identifier l'auteur d'une citation

Qui est l'auteur des expressions entre guillemets dans les deux passages suivants ?

  • A la fin des années cinquante, les lycéens étaient, selon l’expression de Barthes, des “petits messieurs”. Aujourd’hui, ce sont des “jeunes”. Immense mutation. Finkielkraut
  • Plus l’acteur est grand, plus il s’intéresse à la technique de son art. “Plus on a de talent, et plus il faut le travailler”, me dit un grand acteur. Stanislavski

Exercice 4 : présenter son opinion en variant les formules

  1. Voici une série de citations. Présentez chacun d'elles en une phrase, en variant vos formules.
  2. Citez chacun des auteurs en suggérant votre propre opinion sur le problème soulevé. 
  • « Plutôt souffrir que mourir C’est la devise des hommes. » La Fontaine, « La Mort et le bûcheron »
  • « Dans notre civilisation, celui qui diffère de moi, loir de me léser, m’enrichit. » Saint-Exupéry
  • « Le plus grand effort de l’amitié n’est pas de montrer nos défauts à un ami, c’est de lui faire voir les siens. » La Rochefoucauld
  • « Lhomme est un animal enfermé — à l’extérieur de sa cage. Il s’agite hors de soi. » Valéry

Exercice 5 : réfuter ou défendre une opinion

  1. A quelle idée l'auteur s'oppose-t-il ? Relevez dans le texte tous les indices montrant qu'il n'est pas d'accord, et classez-les.
  2. Quel argument personnel développe-t-il contre cette thèse qu'il refuse ?

« Les nouvelles générations auraient les épaules chargées d’un préjudice aussi affreux qu’inédit : l’incertitude de l’avenir. Ces platitudes, tant de fois entendues, entretiennent une mystification à la fois déloyale et funeste. A quoi sert-il de se lamenter sur une sorte de fatalité que nos savants analystes s’appliquent à décrire comme imparable et dont ils n’essaient par conséquent jamais de nous délier ? Au contraire, ils semblent enliser à plaisir la jeunesse dans son malheur. La crainte de ne pas trouver d’emploi, disent-ils avec le plus grand sérieux, dissuade les jeunes de s’appliquer à leurs études ; l’éventualité du divorce les empêche de se marier. Oui, sous ces banalités perce une équivoque complicité. En sciences humaines, les analyses ne sont jamais neutres ; elles prennent parti, quand elles ne prétendent que décrire.

En expliquant la paresse par le découragement, nos raisonneurs reproduisent et donc confortent le discours du paresseux, qui a existé de tout temps ; on est paresseux par tempérament, et non pour avoir conclu à l’inutilité de l’effort. Mais la crise aujourd’hui fournit un prétexte honorable au fainéant qui s’abrite derrière sa condition de victime. L’absurdité de l’argument saute aux yeux. Comme le chômage frappe surtout ceux qui sont dépourvus de qualification professionnelle, il devrait plutôt stimuler ceux qui le redoutent, et c’est probablement ce qu’il fait. »

France Quéré, La Famille. Bac, Clermont-Ferrand. © Éd. du Seuil, 1990

Exercice 6 : renforcer une opinion

  1. A qui le journaliste fait-il appel pour appuyer son article ? Pourquoi a-t-il choisi ces intervenants ?
  2. Est-il d'accord avec eux ? A quoi le voit-on ?

« “Venise perd ses habitants. Venise perd son âme. Basta !” Alfredo Rizzo, 54 ans, martèle vigoureusement ses mots devant la vitrine de sa boulangerie-pâtisserie située Strada Nuova.

Son programme ? Vivre, se déplacer, travailler, se divertir à Venise. “Depuis quinze ans, on s’emploie à sauver Venise mais pas les Vénitiens. On a débattu à perte de vue de sa préservation écologique, de son environne­ment lagunaire, de ses monuments en péril sans s’inquiéter des conditions de vie et de travail de ses habi­tants.”

Venise se vide. Venise vieillit. L’âge moyen du Vénitien est de quarante-sept ans, soit de quatre ans supérieur à la moyenne nationale.

Germano Rizzo, frère d’Alfredo, boulanger à Castello, non loin de l’Arsenal, constate chaque jour les effets per­vers de la dénatalité vénitienne. Il me cite l’exemple de cette petite école maternelle catholique, dans son quar­tier, où ses bambins ont appris à lire et à écrire. Il y a vingt ans, vingt religieuses officiaient dans cinq classes à partir de six ans. L’an passé, une seule classe fonction­nait. Et cette année, la rentrée scolaire n’a pas eu lieu à San Francesco e Paulo. L’école a fermé. Le bâtiment, racheté par un homme d’affaires de Padoue, sera trans­formé en lieu de villégiature.

Séjourner à Venise ! Qui ne rêverait d’un pied-à-terre dans les combles d’un palais Renaissance, avec vue imprenable sur le grand Canal ? Ou d’un refuge dans les quartiers silencieux de Dorsoduro quadrillé de minus­cules ruelles et de campi aux charmes secrets ? Vous feriez alors partie de cette élite magique, italienne ou internationale, esthète, riche, qui a fait flamber les prix des logements et sortir les habitants, et pas seulement les plus modestes. “En 1950, Venise était une ville surpeu­plée et malsaine mais avec toutes ses fonctions produc­tives, économiques, sociales, culturelles”, fait observer Giulano Zanon, directeur du Consortium pour le déve­loppement économique et social de la Vénétie. “Dans la décennie suivante, les jeunes, suivis des riches, ont quitté leurs logements anciens et vétustes de la cité his­torique pour découvrir sur la terre ferme les délices d’une vie moderne avec garage, appartement neuf, voiture, supermarché.” Bref, tout ce que Venise ne pou­vait leur offrir. Après, ils ont déchanté... Trop tard ! »

Cazenave, La Vie, n° 2352, 27 sept. 1990

Exercice 7 : opinion et énonciation

  1. Quelle opinion Baudelaire récuse-t-il ?
  2. Sur quoi Baudelaire s'appuie-t-il pour développer sa propre opinion ? Quel système d'énonciation, quelles techniques adopte-t-il pour l'exprimer ? Pourquoi ?

« La plupart des erreurs relatives au beau naissent de la fausse conception du XVIIe siècle relative à la morale. La nature fut prise dans ce temps-là comme base, source et type de tout bien et de tout beau possibles. La néga­tion du péché originel ne fut pas pour peu de chose dans l’aveuglement général de cette époque. Si toutefois nous consentons à en référer simplement au fait visible, à l’expérience de tous les âges et à la Gazette des Tribunaux, nous verrons que la nature n’enseigne rien, ou presque rien, c’est-à-dire qu’elle contraint l’homme à dormir, à boire, à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l’atmosphère. C’est elle aussi qui pousse l’homme à tuer son semblable, à le manger, à le séquestrer, à le torturer ; car, sitôt que nous sortons de l’ordre des nécessités et des besoins pour entrer dans celui du luxe et des plaisirs, nous voyons que la nature ne peut conseiller que le crime. C’est “cette infaillible nature” qui a créé le parricide et l’anthropophagie, et mille autres abominations que la pudeur et la délicatesse nous empêchent de nommer. C’est la philosophie (je parle de la bonne), c’est la religion qui nous ordonne de nourrir des parents pauvres et infirmes. La nature (qui n’est pas autre chose que la voix de notre intérêt) nous commande de les assommer. » Charles Baudelaire, Éloge du maquillage, 1860. Bac

 

Exercice 8 :  présenter une opinion de différentes manières

Présentez en deux ou trois lignes les opinions ci-dessous en respectant les consignes suivantes :

  1. attribuez-vous l'opinion présentée ;
  2. attribuez-la à un groupe de personnes dont vous vous excluez ;
  3. valorisez cette opinion ;
  4. dévalorisez-la ;
  5. suivez à la fois la deuxième et la quatrième consigne ;
  6. recourez au style indirect libre en reformulant ces opi­nions en fonction d'un locuteur typique.

Opinion n° 1 : Les romans policiers sont les seuls romans captivants.

Opinion n° 2 : L’adolescent a raison de ne pas partager les mêmes valeurs que les adultes.

Opinion n° 3 : La fin justifie les moyens.