La négociation crée un espace de communica­tion spécifique dans les entreprises et dans les institutions.

1. Définition de la négociation et de son espace

Retrouvons l'étymologie de négoce, négocier, négociation. Il s'agit d'une famille d'origine latine, comme beaucoup des mots français du vocabulaire juridique ou institutionnel (la France est un pays de droit latin). Il s'agit de la négation de otium, que l'on traduit très sou­vent, de manière sans doute un peu sommaire, par loisir. Le negotium serait donc l'antinomie du loisir. Certes, mais il faut aller plus loin. L'otium désigne, en fait, dans la culture latine, ce qui relève de l'espace privé, ce qui échappe à la régulation sociale, tandis que le negotium relève des instances sociales, institutionnelles, politiques, de régulation et de décision. L'es­pace de la négociation est donc l'espace du marché, l'espace de l'agora, ou du forum: l'espace public par excellence.

L'espace de la négociation est un espace public qui réunit, dans une forme institution­nelle de la médiation interlocutoire, des acteurs qui se reconnaissent mutuellement à la fois par leur identité (ce qu'on les sait être) et par leur statut (ce qu'ils représentent). Mais la négociation n'est pas seulement une ren­contre : il va s'agir, au cours de cette rencontre et des processus de communication qu'elle implique, d'engager une logique d'évolution mutuelle et commune de ces facteurs com­plémentaires.

L'espace de la négociation se caractérise par trois éléments majeurs : la décision, les pou­voirs, l'action. Par ailleurs, on envisagera ici la question de la maîtrise de la négociation, du point de vue des acteurs qui y sont impliqués. En effet, il importe d'analyser la négociation comme un processus à la fois économique et politique - qui implique la communication à la fois comme système de représentation et comme système institutionnel.

1. Importance de la négociation dans la prise de décision

Les partenaires de la communication sont cen­sés avoir des décisions à prendre : l'identifica­tion spéculaire, constitutive de toute commu­nication, se fait par la médiation de la décision attendue. La dimension interlocutoire, qui fonde la communication sur l'identification symbolique et sur la reconnaissance mutuelle, l'un par l'autre, des deux interlocuteurs de l'échange, ne se fait pas par rapport à l'identité que l'on suppose à son partenaire de commu­nication, mais par rapport à la décision que l'on en attend.

En ce sens, la négociation s'inscrit dans une logique d'anticipation. Ainsi, la négociation n'est pas un processus de communication qui repose seulement sur une identification et une reconnaissance hic et nunc des partenaires de la communication, elle implique aussi une anticipation de cette reconnaissance et de cette identification. La négociation est un pari sur la communication : le temps de la négo­ciation n'est pas limité au présent de l'échange symbolique ; il inclut une représentation du futur dont sont porteurs les partenaires de la négociation, à la fois en ce qui concerne leur propre futur et le futur qu'ils supposent à l'autre.

2. La négociation entre pouvoirs économiques et politiques

L'espace de la communication est conçu comme un espace institutionnel, l'existence virtuelle de décisions à prendre fait de l'espace de la communication un espace de pouvoirs. Cette logique de pouvoirs fonde le processus de la négociation dans la communication sur un moment préliminaire : le choix du parte­naire avec lequel s'engage la négociation. Ce choix dépend, lui-même, du pouvoir que l'on reconnaît à ceux qui constituent l'espace public. Négocier avec l'autre, c'est, d'abord, à la fois lui reconnaître un pouvoir qu'il est censé détenir, et se faire reconnaître de lui le pouvoir que l'on estime détenir.

Une telle reconnaissance de pouvoirs qui, pour la légitimité de la négociation, ne saurait être que mutuelle, fait de la négociation une forme de lieu d'articulation entre le politique, le symbolique et le marché. La négociation est le processus par lequel l'économique s'inscrit dans des rapports de médiation collective, ce qui équivaut à en faire un espace politique. Et, de fait, la négociation ne saurait s'ouvrir qu'après la vérification et la reconnaissance des pouvoirs et des mandats par lesquels les négociateurs qui en sont porteurs acquièrent le statut d'acteurs politiques.

3. La négociation: deux types d'actions

La négociation est censée avoir un résultat dont on attend qu'il ait des incidences sur les partenaires de la communication et sur l'enjeu qu'ils ont en commun. En ce sens, la négocia­tion instaure une communication qui, comme le performatif et comme la communication politique, articule le réel et le symbolique, c'est-à-dire l'action et la communication.

La négociation, en fait, représente une action double : elle est une action, qui implique des acteurs engagés dans la recherche d'un but ou d'un résultat, et, en même temps, elle rend compte d'une action à venir, puisque les sujets qui y participent sont porteurs de projets, de représentations anticipées, de ce que leurs rapports avec leurs partenaires seront devenus à l'issue de la négociation.

Ces deux types d'actions, dont est por­teuse la négociation, lui confère un statut par­ticulier dans le champ de la communication. La négociation est une forme institutionnelle de communication sociale qui fonde la média­tion sur la représentation que ses partenaires se font du but qu'ils poursuivent (ce que l'on nomme l'enjeu de la communication, qui définit le marché en cours). La consistance de ce type de communication, ce qu'elle représente effectivement dans le réel, dépend de l'aptitude des négociateurs à se reconnaître, dans le présent, comme des acteurs institu­tionnels de communication et de sociabilité, et à se projeter dans l'avenir qu'ils supposent à l'évolution du marché.

4. Maîtriser les techniques de la négociation

La maîtrise des techniques de la négociation passe par la maî­trise des conditions institutionnelles dans les­quelles elle s'inscrit. Cela suppose que l'on se représente la négociation non seulement comme un processus de communication arti­culé à la conclusion d'un accord ou d'une convention opératoire sur le plan économique, mais que l'on se représente l'espace de la négociation comme un espace de pouvoir et, à ce titre, comme un espace politique.

La maîtrise de la négociation suppose que l'on se représente soi-même - et que l'on se repré­sente ses partenaires - à la fois comme des acteurs économiques porteurs de valeurs et d'enjeux et comme des acteurs politiques por­teurs de pouvoirs et de représentations poli­tiques. Dans ces conditions, la négociation doit, pour aboutir, représenter effectivement une forme de prolongement institutionnel de la vie des entreprises et des organisations.

A ce titre, il n'y a pas de négociation sans que soient consenties par les partenaires de l'échange des concessions en matière de pou­voir. Ce sont ces concessions et ces reconnais­sances réciproques qui représentent l'effet réel de la négociation dans le processus de restruc­turation institutionnelle qu'elle engage dans l'espace public.