Les Confessions de Rousseau : un récit autobiographique

Les Confessions sont un livre autobiographique de Jean-Jacques Rousseau. À l'époque moderne, il est souvent publié sous le titre Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau afin de le distinguer des Confessions de saint Augustin. Couvrant les cinquante-trois premières années de la vie de Rousseau, jusqu'en 1765, Les Confessions est achevé en 1769, mais n'a été publié qu'en 1782, quatre ans après la mort de Rousseau, même si ce dernier a lu des extraits de son manuscrit en public dans divers salons et autres lieux de rencontre.

Dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau raconte l'histoire de sa vie, depuis l'expérience formatrice de son enfance modeste à Genève, en passant par l'atteinte d'une renommée internationale en tant que romancier et philosophe à Paris, jusqu'à son errance en tant qu'exilé, persécuté par les gouvernements et aliéné du monde de la civilisation moderne.

En essayant d'expliquer qui il était et comment il en est venu à être l'objet de l'admiration et de l'abus des autres, Rousseau analyse avec une perspicacité unique la relation entre un moi intérieur insaisissable mais essentiel et la variété des identités sociales qu'il a été amené à adopter. L'ouvrage illustre de façon saisissante le mélange d'humeurs et de motifs qui sous-tend l'écriture d'une autobiographie : défi et vulnérabilité, exploration de soi et déni, passion, perplexité et détachement. Par-dessus tout, les Confessions sont la recherche de Rousseau, par le biais de toutes les ressources du langage, pour transmettre ce qu'il désespère de mettre en mots : la qualité personnelle de l'homme.

Résumé des Confessions de Rousseau

Résumer pas à pas Les Confessions reviendrait à esquisser une biographie de Rousseau ; c’est pourquoi on se bornera ici à en indiquer les jalons essentiels. Le premier livre, qui débute par le célèbre :

"Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur"

expose le projet du texte et évoque la prime jeunesse de Jean-Jac- ques, exhibant sa pureté originelle et le début de sa dénaturation lors de son apprentissage. La rencontre avec Mme de Warens à Annecy, le séjour à Turin, où il abjure le protestantisme pour se convertir au catholicisme, ses divers emplois de domestique puis le retour à Annecy occupent les livres II et III. Rousseau décrit alors ses voyages en Suisse (accompagné d’un moine grec) et à Paris, puis son retour à Chambéry chez Mme de Warens où il donne des leçons de musique (IV). Installé aux Charmettes près de chez sa bien-aimée, il se plonge dans les livres (notamment Prévost et Marivaux), étudie diverses matières avec application et voyage en France.

Après un préceptorat d’un an à Lyon chez M. de Mably, il rejoint Paris (V et VI). Parti pour Venise où il occupe auprès de M. de Montaigu les fonctions de secrétaire d’ambassade, il est bientôt chassé et revient à Paris où il fait la connaissance de Thé­rèse Levasseur (VII). Sur la route de Vincennes où il se rend pour aller voir Diderot emprisonné, il a une illumination dans laquelle il voit le système philosophique qu’il exposera dans ses œuvres ; les deux premiers discours lui valent brusquement la célébrité et de nombreux désagréments (VIII).

Il quitte Paris, où il était copiste de musique, pour s’installer à l’Ermitage, chez Mme d’Épinay ; il s’éprend alors de la comtesse d’Houdetot qui nourrit l’écriture contemporaine de La Nouvelle Héloïse. 11 quitte ensuite l’Ermitage pour Montmorency (IX). C’est l’époque des premiers délires de persécution : Rousseau se croit victime d’un complot des philosophes et rompt définitive­ment avec Mme d’Épinay et Diderot. Il bénéficie cependant de la protection de son ami le maréchal de Luxembourg. Intense période créatrice durant laquelle il achève La Nouvelle Héloïse, écrit Le Contrat social et Y Emile (X et XI). Après la condamna­tion de ce dernier ouvrage, il se réfugie en Suisse où il entreprend Les Confessions qui s’achèvent sur le récit du court séjour à l’île de Saint-Pierre sur le lac de Bienne (XII).

Analyse des Confessions de Rousseau

► Tout dire ?

Le ton volontiers solennel de l’ouverture des Confessions manifeste la conscience qu’a Rousseau de révéler un projet inouï, à tous égards originel. En effet, pour la première fois, un écrivain décide de livrer toute sa vie, même la plus intime, à ses lecteurs afin qu'ils puissent se faire une idée aussi exacte que possible de sa per­sonne, et donc soient capables de le comprendre. Rousseau, ainsi, s’expose dans un livre-miroir qui acquiert le statut de substitut de l’écrivain, devient comme son corps transfiguré donné à lire. La composition en deux temps (les deux parties des Confessions) dis­tingue deux époques de sa vie : celle des impressions provenant d’« une vie égale, assez douce » puis la seconde, marquée par les attaques incessantes et l’ « amertume », frontière très nette qui confère au livre achevé un itinéraire en douze stations, à l’instar de l’épopée classique, comme pour montrer qu’il s’agit ici de décrire l’épopée d’une conscience marquée par le constant souci de vérité et d’analyse de soi sans complaisance aucune. Jean-Jacques retrace ainsi son existence jusque dans ses détails, sachant que « ce qui se voit n’est que la moindre partie de ce qui est », sans voiler les nuances plus sombres de son personnage, et ne reculant pas même devant des aveux délicats : la fessée de Mme Lamber- cier à laquelle il prit plaisir, la masturbation, l’abandon des enfants, ses aventures et surtout le fameux vol du ruban où il fit accuser à sa place Marion, la cuisinière de Mme de Vercellis. L’accusation d’exhibitionnisme tombe sans doute devant ce projet de dévoilement total qui refuse d’occulter les pans obscurs afin de conférer plus de force au plaidoyer qu’entend construire Rousseau.

► Un plaidoyer sincère ?

Après avoir dénoncé dans ses textes philosophiques l’influence néfaste de la société, Rousseau fut à son tour mis en accusation par ces Lumières qu’il fustigeait et entreprit de rédiger les Confes­sions comme un ouvrage de légitimation de soi. C’est pourquoi le récit de l’enfance tend à montrer la pureté originelle de l’indi­vidu Rousseau afin de mettre au jour le processus délétère de l’éducation qui corrompt l’homme. En se prenant lui-même comme exemple, Rousseau illustre ce même mouvement à l’échelle de l’individu, en construisant sa vie afin de la rendre conforme au système de pensée qu’il a développé, ce qui peut déjà moduler la vérité qu’il prétend exposer. En outre, l’écriture auto­biographique fait fusionner le passé dans le présent de l’écriture, avec un risque très net de récrire l’histoire personnelle dans le moment où elle s’expose : la vérité se trouve ainsi aménagée et pose le problème de la sincérité dont se targue Rousseau ; en effet, comme le souligne Gide dans ses Carnets, une esthétique de la sincérité ruine cette même sincérité puisqu’elle en fait, précisé­ment, une esthétique. C’est dire que la vérité ne saurait être cap­turée dans un univers littéraire et que Les Confessions manifes­tent dans le même temps une volonté de sincérité doublée de son impossibilité pratique.

► Naissance de l’écrivain.

Dans cette volonté de tout dire se fonde ainsi la première auto­biographie moderne, car le « je » de l’auteur se cherche ici sans référence explicite au divin. En effet, à l’inverse des Confessions de saint Augustin, les souvenirs valent seulement pour l’individu et non pour retracer un itinéraire spirituel ; dès lors, même si les premières lignes appellent la référence au Jugement dernier, l’autobiographie rousseauiste n’est nullement polarisée sur l’exaltation de Dieu ou la réflexion à visée généralisante. Au con­traire, ce qui importe, ce sont les différences qui posent l'individu dans son unicité ; la quête de soi (l’épigraphe intus et in cute, à l’intérieur et sous la peau, est emblématique de cette vision) marque non seulement l’émergence de l’individu comme sujet lit­téraire à part entière, mais Rousseau, par la confusion de l’écri­vain avec l’homme vivant, invente ainsi le mythe de l’écrivain moderne. Une nouvelle relation avec le lecteur s’impose alors, par la grâce d’une écriture musicale chargée d’affect, de sorte qu’une voix singulière s’adresse à un lecteur lui-même singulier qui peut vibrer à l’accent personnel de Jean-Jacques écrit par Rousseau.

Les Confessions de Rousseau : citations choisies

Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateurs. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature et cet homme ce sera moi.
Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre.
Le temps peut lever bien des voiles. Si ma mémoire parvient à la postérité, peut-être un jour elle apprendra ce que j'avais à dire. Alors on saura pourquoi je me tais.
Quoique timide naturellement, j'ai été hardi quelquefois dans ma jeunesse, jamais dans mon âge avancé. Plus j'ai vu le monde, moins j'ai pu me faire à son ton.
J'adore la liberté ; j'abhorre la gêne, la peine, l'assujettissement. Tant que dure l'argent que j'ai dans ma bourse, il assure mon indépendance.
L'argent qu'on possède est l'instrument de la liberté, celui qu'on pourchasse est celui de la servitude.
J’ai toujours trouvé dans le sexe une grande vertu consolatrice ; et rien n’adoucit plus mes afflictions dans mes disgrâces que de sentir qu’une personne aimable y prend intérêt.
Je ne comprends pas aujourd'hui comment j'eus la bêtise de lui répondre et de me fâcher, au lieu de lui rire au nez pour toute réponse.
Mon plus grand malheur fut toujours de ne pouvoir résister aux caresses.
Le remords s'endort durant un destin prospère, et s'aigrit dans l'adversité.
Il n'y a point de haine qu'on ne désarme à force de douceur et de bons procédés.
Le vrai bonheur ne se décrit pas, il se sent, et se sent d'autant mieux qu'il peut le moins se décrire, parce qu'il ne résulte pas d'un recueil de faits mais qu'il est un état permanent.
Mes malheurs n'avaient pas encore détruit cette confiance naturelle à mon cœur, et l'expérience ne m'avait pas encore appris à voir partout des embûches sous les caresses.
Je dispose en maître de la nature entière ; mon cœur, errant d'objet en objet, s'unit, s'identifie à ceux qui le flattent, s'entoure d'images charmantes, s'enivre de sentiments délicieux.
L'argent qu'on possède est l'instrument de la liberté celui qu'on pourchasse est celui de la servitude. Voilà pourquoi je serre bien et ne convoite rien.
C'est à la campagne qu'on apprend à aimer et servir l'humanité: on n'apprend qu'à la mépriser dans les villes.
C'est surtout dans la solitude qu'on sent l'avantage de vivre avec quelqu'un qui sait penser.
La soif du bonheur ne s'éteint pas dans le coeur de l'homme.
Je suis moins tenté de l'argent que des choses, parce qu'entre l'argent et la possession désirée il y a toujours un intermédiaire.
Ce sont presque toujours de bons sentiments mal dirigés qui font faire aux enfants le premier pas vers le mal.
Parmi le peuple, où les grandes passions ne parlent que par intervalles, les sentiments de la nature se font plus souvent entendre.
J'ai toujours cru qu'on ne pouvait prendre un intérêt si vif à l'Héloïse sans avoir ce sixième sens, ce sens moral, dont si peu de coeurs sont doués, et sans lequel nul ne saurait entendre le mien.
Je n'y pense jamais sans sentir combien sont trompeurs les jugemens fondés sur l'apparence, auxquels le vulgaire donne tant de poids, et combien souvent l'audace et la fierté sont du côté du coupable, la honte et l'embarras du côté de l'innocent.
Si chaque homme pouvait lire dans le coeur de tous les autres, il y aurait plus de gens qui voudraient descendre que de ceux qui voudraient monter.
Rien ne lie tant les coeurs que la douceur de pleurer ensemble.
Je ne vois pas que celui qui donne beaucoup d'argent donne rien du sien; au lieu que celui qui donne son temps, sa liberté, ses sentiments, ses talents, ses soins, se donne vraiment lui-même.
Enfin c'est toujours un mauvais moyen de lire dans le coeur des autres que d' affecter de cacher le sien.
La vertu ne nous coûte que par notre faute, et si nous voulions être toujours sages, rarement aurions-nous besoin d'être vertueux.

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