La mise en contexte d’une œuvre étant toujours incontournable pour l’analyse, nous vous présenterons ici les principaux courants qui ont jalonné la littérature québécoise du XXe siècle, et nous vous donnerons un bref aperçu du contexte sociohistorique associé à chaque période. Ces connaissances vous permettront de repérer, lors de votre analyse, les thèmes et les procédés formels susceptibles de se trouver dans les textes étudiés et de les interpréter adéquatement.

Le XXe siècle (1900-1945) : la puissance et le déclin du terroir


De 1900 à 1945, le Québec vit des moments difficiles. Même si le clergé conserve son emprise morale et qu’il continue de défendre son idéologie conservatrice, le Québec s’urbanise. Dès le début des années 1920, la majorité de la population vit dans les villes. L’émigration vers les États-Unis se poursuit et l’effondrement de l’économie mondiale en 1929 plonge le Québec dans la pauvreté. Les années 1936-1939, avec l’arrivée au pouvoir de Maurice Duplessis, freinent tout espoir de réformes sociales. Les années 1940 permettent cependant d’envisager brièvement une société civile laïque. Les principales réformes du libéral Adélard Godbout (1939-1944) contiennent déjà les germes de la Révolution tranquille : droit de vote accordé aux femmes, éducation primaire obligatoire et gratuite, droit à la syndicalisation, création d’Hydro-Québec. Cependant, le retour au pouvoir de Maurice Duplessis en 1944 met n à tout espoir de réforme et marque un net recul des libertés civiles. Si la première moitié du siècle voit la coexistence de deux mouvements littéraires opposés, le terroir et l’anti-terroir, c’est la poésie qui se taille la plus grande part de renouveau dans le premier quart du siècle.


Les écrivains du terroir (1895-1930)

  • S’inscrivent dans le prolongement de l’idéologie de conservation.
  • Font l’apologie de la terre natale, gardienne des traditions religieuses, patriotiques et paysannes.
  • Cultivent la hantise de la ville et de ses maux.
  • Décrivent la vie domestique et appellent aux grands espaces (forêts et villes).
  • Sont soumis au contrôle de la censure et de l’index.

Thèmes privilégiés :

Retour à la terre nourricière ; foi ; langue ; sauvegarde de la culture et des valeurs ancestrales (famille, religion, tradition) ; abandon des aspirations personnelles ; soumission à l’ordre établi

Romanciers marquants :

Nérée Beauchemin ; Robert Choquette ; Alfred Desrochers ; Germaine Guèvremont ; Claude-Henri Grignon ; Louis Hémon ; Pamphile Le May ; Philippe Panneton (Ringuet) ; Félix-Antoine Savard

Poètes marquants :

Émile Coderre ; Alphonse Désilets ; Alfred Desrosiers ; Blanche Lamontagne

Caractéristiques : procédés et effets

• Traitement romantique de l’écriture : lyrisme, figures d’analogie, parfois grandiloquence, mais aussi volonté

de réalisme.

• Expression du pittoresque.

• Discours idéalistes et moralisateurs.

• Analyse psychologique ; personnages contrastés.

• Représentation de la réalité du pays dans la langue pour créer un effet de réalisme (québécismes, noms de lieux, langue populaire). 

 

Les écrivains de l’anti-terroir (1895-1935) 

Les romanciers de l’anti-terroir

  • Dénoncent la vision idyllique de la terre ; refusent l’idéologie qui valorise la vie rurale.
  • Présentent le côté sordide de la vie à la campagne dont ils offrent une image dure, crue, violente et désespérée.
  • Remettent en question l’autorité cléricale et rejettent la morale traditionnelle.

Thèmes privilégiés :

Égoïsme ; cupidité ; intérêts triviaux ; méchanceté ; misère ; cruauté de la vie paysanne ; trahison de la terre ; aliénation ; esclavage ; mutation sociale profonde (industrialisation, liens de filiation difficiles, conscription, transition de la ville à la campagne, mort, fourberie, tentation américaine, exil et exclusion linguistique et culturelle).

Auteurs marquants :

Rodolphe Girard ; Jean-Charles Harvey ; Albert Laberge

Caractéristiques du roman anti-terroir : procédés et effets

• Approche réaliste et surtout naturaliste.

• Portraits affligeants qui constituent des charges contre les personnages.

• Descriptions pittoresques et colorées.

• Ironie et satire, farce scatologique ou humour, lyrisme retenu.

• Lexique sobre, précis et parfois populaire ; syntaxe lourde, images parfois défraîchies 

 

Les poètes de l’anti-terroir

  • Subissent grandement l’influence des mouvements poétiques français, notamment le symbolisme et le Parnasse (p. 170).
  • Proviennent pour la plupart de l’École littéraire de Montréal (1895-1935), qui souhaite créer une littérature nationale ; ont en commun leur opposition à l’idéologie de conservation et leur amour de la poésie pure.
  • Les poètes idéalistes (1895-1935)

– S’opposent au courant idéologique du terroir.

– Font de la poésie pure leur idéal.

– Abandonnent les thèmes patriotiques et privilégient l’expression des sentiments (le plus souvent une douloureuse descente en soi).

– Valorisent la réalité de l’esprit plutôt que celle des sens.

– Chérissent les atmosphères de rêve et d’étrangeté.

Thèmes privilégiés :

Idéalisme qui conduit souvent au silence, à l’exil, à la solitude, à l’angoisse, voire à la mort ; poète au-dessus de la réalité ; société comme frein à la liberté créatrice ; rêve ; nature ; voyages à l’étranger et ouverture au monde ; quête d’un ailleurs mystérieux et impossible ; passé comme refuge

Auteurs marquants :

Arthur Bussières ; Albert Ferland ; Charles Gill ; Albert Lozeau ; Émile Nelligan.

Caractéristiques : procédés  et effets

• Esthétique romantique, mais surtout symboliste (p. 170).

• Prédilection pour les poètes maudits comme Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, etc.

• Beauté des images, musicalité des sons, sens de l’harmonie et liberté thématique.

• Poésie individualiste : lyrisme et expression du je; recherche de sincérité.

 

 

  • Les poètes exotistes (1895-1919)

– Répondent à différentes appellations : les exotistes, les exotiques, le groupe des artistes, les exilés ou encore les parisianistes.

– Ont presque tous séjourné en France, où ils ont été à même de s’imprégner des courants littéraires et artistiques en vogue à Paris à cette époque.

– S’affirment comme étant en rupture morale et patriotique avec les régionalistes ; fuient la médiocrité locale et rêvent de l’ailleurs.

– Revendiquent la liberté de l’œuvre d’art, laquelle doit se suffire à elle-même.

– Cultivent le dépaysement et tout ce qui est rare.

– Luttent contre un étouffement culturel insupportable et remettent en question la vision de la littérature selon laquelle sa fonction serait d’être au service de la nation ; ils sont considérés comme les précurseurs de la modernité littéraire québécoise.

Thèmes privilégiés :

Exil ; rêve ; étrangeté ; voyages ; exotisme (attrait pour l’orientalisme : ailleurs merveilleux, impossible) ; universalisme ; violence ; radicalisme ; entreprise de démolition du terroir ; noirceur ; jeunesse perdue ; cruauté du présent ; enfance humiliée ; amour ; guerre ; sacrifice ; mort ; suicide

Auteurs marquants :

Guy Delahaye ; Marcel Dugas ; Jean-Aubert Loranger ; Paul Morin

Caractéristiques : procédés et effets

• Influence du symbolisme et surtout du Parnasse ; hermétisme.

• Culte de l’art pour l’art : importance accordée à la forme.

• Prédilection pour la description parnassienne des paysages et des mœurs de terres inconnues (influence de poètes français comme Leconte de Lisle et Heredia).

• Souci de masquer l’intériorité du poète derrière un ensemble de références que le lecteur doit déchiffrer.

• Affirmation de l’autonomie de la poésie et nécessité de la fantaisie et du jeu ; recherche du mot rare.

• Rejet des clichés de la poésie.

• Usage de l’ironie, de la moquerie ; sacralisation du rire ; récupération parodique. 

 

  • Les poètes de la solitude (1930-1960)

– Sont aussi appelés les vers-libristes.

– Cherchent à traduire l’âme et les choses par la musicalité des mots.

– Transfigurent la pensée en symboles, l’enrichissent de mystère et la voilent parfois par leur hermétisme.

– Décrivent l’expérience d’une mort symbolique qui leur permet de mieux renaître.

Thèmes privilégiés :

Vie ; amour ; mort ; nature ; univers ; aventure intérieure ; souffrance de l’âme ; dépossession ; solitude ; déchirements intérieurs (adulte/enfant, intériorité intense mais fragile / monde extérieur envahissant, moi / cosmos) ; amour mystique ; spiritualité, morale et foi chrétiennes

Auteurs marquants :

Saint-Denys Garneau ; Alain Grandbois ; Anne Hébert ; Rina Lasnier

Caractéristiques : procédés / effets

• Mise en scène de l’écriture, qui scrute et remet en question l’individu et lui permet de réfléchir sur

sa fonction de poète.

• Libération de la forme poétique : vers-librisme et prose rythmée remplaçant la prosodie classique.

• Dépouillement stylistique ; absence de ponctuation.

• Lyrisme souffrant, souvent teinté de spiritualité.

 

  

Le XXe siècle (1945-1960) : de la Grande Noirceur à la Révolution tranquille


La Grande Noirceur désigne les 15 années d’après-guerre correspondant au second mandat de Maurice Duplessis comme premier ministre (1944-1959). La société québécoise connaît alors de profondes mutations : exode rural, émergence de la classe moyenne, urbanisation, prospérité économique, conflits ouvriers, invention de la télévision, expansion graduelle du réseau des universités, diversification des cheminements professionnels et conséquemment émergence d’une nouvelle élite intellectuelle. Les élites traditionnelles, groupées autour des milieux cléricaux et de la figure de Duplessis, durcissent leurs positions conservatrices et tentent de brimer ce nouvel élan, mais le rapport de force et les mentalités ont changé suffisamment pour qu’on ose désormais remettre en cause les fondements de l’ordre établi et jeter un regard plus objectif sur la société.


Une littérature de l’angoisse et de la quête identitaire

Les écrivains de cette génération posent des questions déterminantes sur l’identité québé-coise et sur sa survie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, nombre d’écrivains français viennent se faire publier à Montréal. Cette effervescence éditoriale met les écrivains d’ici au fait de l’activité littéraire française et suscite chez eux le désir de faire entendre leur propre voix.

Le roman

  • Le réalisme urbain (1945-1950)

– Décrit la situation précaire des Canadiens français qui sont nouvellement établis en ville et doivent s’adapter aux conditions difciles de la vie urbaine et du travail ouvrier.

Thèmes privilégiés :

Solitude ; culpabilité ; exode rural ; inadaptation ; difcultés à survivre en ville ; exploitation des ouvriers ; clivages sociaux ; pauvreté ; en somme, aliénation

Auteurs marquants :

Roger Lemelin ; Gabrielle Roy

Procédés / effets

• Réalisme : description de la vie urbaine et du travail ouvrier.

• Forme qui s’apparente au roman de mœurs : comique, dérision, ironie, satire, etc. 

 

  • Le réalisme psychologique (1945-1975)

– Cherche à se démarquer du terroir en soulevant des préoccupations universelles.

– Explore les problèmes moraux de l’individu soumis aux tensions de la vie urbaine et aux conflits intérieurs qui l’assaillent.

Thèmes privilégiés :

Lutte entre le bien et le mal ; famille comme autorité ; cosmopolitisme ; engagement moral ; mal de vivre ; incommunicabilité ; solitude ; absurde ; identité

Auteurs marquants :

Robert Charbonneau ; André Giroux ; Anne Hébert ; André Langevin ; Françoise Loranger ; Claire Martin ; Yves Thériault.

Caractéristiques : procédés / effets

• Recherche formelle: dépassement des formes classiques d’écriture.

• Refus de la linéarité du récit et mélange des genres.

• Subjectivité de la voix narrative (multiplication des perspectives et des points de vue narratifs).

 

 

La poésie

  • Les poètes automatistes ou surréalistes (1945-1960)

– Tirent parti de l’influence du dadaïsme et du surréalisme français.

– Cherchent à libérer les pulsions et s’ouvrent sur l’imaginaire.

– Refusent les servitudes de la raison ou de la réflexion, et privilégient le surgissement spontané (le sens importe moins que la forme).

– Signent ou du moins cautionnent le manifeste Refus global, publié en 1948 sous la direction de Paul Borduas.

– Redéfinissent le rôle de l’écrivain, désormais chargé d’exprimer la nature fondamentale de l’être humain.

Thèmes privilégiés :

Remise en question des valeurs traditionnelles ; rejet de l’immobilisme de la société québécoise ; libération des contraintes morales et épanouissement dans la liberté individuelle.

Auteurs marquants :

Claude Gauvreau ; Roland Giguère ; Gilles Hénault ; Paul-Marie Lapointe

Caractéristiques : procédés / effets

• Libre association des images et des mots (inconscient), écriture automatique pour dire l’indicible. • Mots-valises, néologismes, onomatopées, répétition de voyelles et de consonnes, paronomases

( rapprochements de mots ayant des sonorités semblables), enchaînements de plusieurs mots
et autres procédés de transformation de la syntaxe et de la langue.

 

 

  • Les poètes du pays et de l’engagement : l’Hexagone (1953-1970)

– Participent à l’essor d’une poésie sociale qui se libère du lyrisme personnel et des préoccupations métaphysiques (religieux), marquant ainsi l’engagement du poète pour la collectivité (humanisme social).

– Poursuivent la quête de l’identité nationale (pays, langue).

– Prennent parole aussi pour promouvoir et accomplir la révolution.

Thèmes privilégiés :

Pays et liberté ; fraternité et solidarité ; appartenance et espérance ;  femme et amour

Auteurs marquants :

Jacques Brault ; Paul Chamberland ; Gérald Godin ; Gatien Lapointe ; Gaston Miron ; Jean-Guy Pilon ; Yves Préfontaine

Caractéristiques : procédés / effets

• Regard critique posé sur la société québécoise, qui souffre de dévalorisation et d’aliénation. • Approche surréaliste et automatiste dans le traitement thématique du pays (voir « Les poètes automatistes ou surréalistes »). 

 

Le théâtre

– Coïncide avec la fin des interdictions que lui a longtemps imposées le clergé.

– Représente l’essor d’une parole de contestation des structures sociales de l’époque.

  • Le théâtre populaire (1945-1960)

– Dénonce les aspects les plus traditionnels de la famille québécoise, ainsi que les mentalités religieuses, la morale étroite et l’idéologie conservatrice du milieu ouvrier urbain.

– Présente l’amour comme une quête inaccessible plutôt que comme une réalité.

Thèmes privilégiés :

Milieu familial étouffant ; milieu populaire urbain ; pauvreté ; inéga­lités sociales ; vicissitudes de l’existence des pauvres ; corruption des élites ; inadaptation à la vie quotidienne ; histoires d’amour malheureuses

Auteurs marquants :

Marcel Dubé ; Gratien Gélinas.

Caractéristiques : procédés / effets

• Réalisme dans la description de la vie des classes urbaines défavorisées.

• Triomphe du burlesque et du vaudeville (monologues et sketches à l’américaine).

• Langue populaire qui ne dédaigne ni les termes familiers ni les anglicismes.

 

 

  • Le théâtre d’avant-garde (1950-1960)

– Propose un théâtre amateur, lieu de formation et d’expérimentation.

– Conçoit un théâtre de l’absurde et de la dérision ainsi qu’un univers surréaliste.

Caractéristiques : procédés / effets

• Personnages non régis par des mobiles psychologiques, mais réduits à une série de gestes, de mots

et de mouvements.

• Remise en question de la logique, du réalisme et de la psychologie chers au théâtre classique. • Représentation du langage comme étant lui-même illusoire, débouchant sur le silence et

l’incommunicabilité.

• Revendication de la liberté dans le langage et dans les mots.

 

 

Thèmes privilégiés :

Absurdité ; êtres envahis par le néant et déconcertés ; dénonciation de l’immobilisme ; rejet d’une vision du monde jugée vétuste et dépassée

Auteurs marquants :

Claude Gauvreau ; Jacques Languirand

 

Le XXe siècle (1960-1980) : la Révolution tranquille et la modernité


La mort de Duplessis en 1959 et l’arrivée au pouvoir du Parti libéral dirigé par Jean Lesage en 1960 ouvrent une ère de modernisation. L’État québécois met de l’avant tout un ensemble de réformes garantissant à la population une assurance contre les risques sociaux : instauration du Régime des rentes (1964) et du Régime d’assurance-maladie (1969) ; création du ministère de l’Éducation (1964) et démocratisation de l’enseignement grâce à la création des polyvalentes, du réseau des cégeps et de celui de l’Université du Québec. L’année 1967 est celle de l’Expo de Montréal ; 1968, celle du « Vive le Québec libre ! » de Charles de Gaule, de la naissance du mouvement souverainiste et, dans la foulée des grandes manifestations à travers le monde, celle de la contestation étudiante ainsi que de la montée du féminisme. Ce climat de revendication et de contestation prend une forme extrême lors de la crise d’Octobre de 1970 avec l’action terroriste du Front de libération du Québec (FLQ). Désormais, on ne se dit plus Canadiens français, mais Québécois, et on ne parle plus de littérature canadienne-française, mais de littérature québécoise.


Une littérature de l’engagement et de la contestation

La littérature de la Révolution tranquille reète bien son époque : elle vise avant tout l’émancipation. En effet, elle dénonce l’aliénation de la société québécoise par les pou-voirs religieux et anglophone, tout en proclamant la nécessité d’une afrmation nationale. Attirés par l’activisme, les écrivains interviennent directement dans la sphère sociale et politique par leurs écrits et leurs actes. Devenue une arme idéologique, la littérature intègre les grands courants mondiaux (psychanalyse, marxisme, féminisme, etc.) et s’allie aux mouvements avant-gardistes, qui multiplient les nouvelles formes d’expression.

Le roman

Le roman de contestation s’inscrit dans un vaste mouvement de laïcisation et de liquidation du passé.

  • S’engage dans la défense de la cause nationale et promulgue l’existence d’une littérature nationale.
  • Dénonce la dépossession socioculturelle du peuple québécois.
  • Met en évidence la langue française populaire parlée au Québec (et plus particulièrement le joual, parlé à Montréal).
  • Valorise un féminisme qui met de l’avant les préoccupations liées au corps, à l’intimité et à la difficulté d’être (avec soi-même et avec les autres).
Thèmes privilégiés :

Identité, nation, peuple et notion de territoire québécois ; érotisme ; contestation des institutions traditionnelles (haine et violence envers la famille, qui étouffe et brime l’autonomie, et envers la religion abusive, dans laquelle la notion de péché incite à la honte du corps)

Auteurs marquants :

Hubert Aquin ; Victor-Lévy Beaulieu ; Gérard Bessette ; Réjean Ducharme ; Jacques Ferron ; Jacques Godbout ; Anne Hébert ; André Major ; Jacques Renaud

Auteures féministes :

Louky Bersianik ; Louise Maheux-Forcier

Caractéristiques: procédés / effets

• Déstructuration du cadre romanesque (antiroman) : forme éclatée, trame discontinue, ponctuation

ébranlée, progression psychologique uctuante des personnages.

• Point de vue narratif interne, qui fait appel à une plus grande subjectivité ; intrusions de l’auteur ; abandon de toute objectivité et usage généralisé de la 1re personne du singulier.

• Niveau de langue populaire (joual).

 

 

La poésie

  • Se fait contestataire : le poète devient observateur et critique des mutations idéologiques et sociales de la condition québécoise.
  • Donne naissance à des revues d’avant-garde comme Les Herbes rouges, La Barre du jour et Hobo Québec.
  • Est fortement marquée par l’inuence de la société matérialiste dominante et l’appau-vrissement du langage.
  • Rompt avec l’idéologie et les valeurs traditionnelles de la culture occidentale, remplacées par le féminisme, la quête identitaire, le sexe, la drogue et la culture populaire.
  • Privilégie la poésie orale (les Nuits de la poésie) ou la chanson à texte.
Auteurs marquants :

Claude Beausoleil ; Normand de Bellefeuille ; Jacques Brault ; Roger Des Roches ; Lucien Francœur ; Gérald Godin ; Michèle Lalonde ; Paul-Marie Lapointe ; Robert Melançon ; Claude Péloquin ; André Roy ; Denis Vanier

Auteures féministes :

Nicole Brossard ; Madeleine Gagnon ; France Théoret ; Josée Yvon

Procédés / effets

• Écriture en tant qu’expérience et recherche, basée sur la transgression : poésie parfois narrative, syntaxe  éclatée, intertextualité, transgression des genres, fusion des voix poétiques, etc. 

 

Le théâtre

  • Le théâtre de la contestation

– Représente la voix du nationalisme québécois qui tente d’amener le spectateur à prendre conscience de son aliénation.

– Professe un réalisme misérabiliste : évocation des milieux populaires urbains et pein-ture d’un monde à la dérive, en marge de la société.

– Confie la parole féminine aux femmes prolétaires et marginales : revendication du droit à la différence.

Auteurs marquants :

Jean Barbeau ; Denise Boucher ; Nicole Brossard ; Michel Tremblay

Caractéristiques : procédés / effets

• Réalisme dans sa description des milieux populaires.

• Affranchissement des règles du langage soutenu (utilisation du joual).

• Puissance du monologue utilisé pour traduire l’incommunicabilité et la solitude.

• Réintroduction du chœur et des récitatifs propres au théâtre de l’Antiquité pour mettre en évidence l’aliénation collective.

 

 

  • Le jeune théâtre et les formes nouvelles

– Prennent parti pour l’inédit et le spontané, pour le vécu et le quotidien, pour la dimension visuelle et plastique bien davantage que pour la psychologie.

– Favorisent la création d’œuvres collectives : théâtralité extravagante, qui relève par-fois de la tradition du cirque et des clowns.

Troupes marquantes :

Groupe Image et Verbe ; Le Grand Cirque ordinaire ; Théâtre des cuisines ; Théâtre des Saltimbanques ; Théâtre Euh !

Caractéristiques :procédés / effets

• Déstabilisation du spectateur par l’abolition des frontières entre les auteurs et les acteurs, entre les artistes

et le public, entre la scène et la salle.

• Créations collectives, improvisation (Ligue nationale d’improvisation), recherche de nouvelles formes.

 

 

La littérature québécoise depuis 1980 : la postmodernité et le pluralisme


Depuis 1980, le Québec continue à se développer, à se structurer et à se moderniser. Toutefois, le double échec référendaire (1980 et 1995) sème la désillusion et met un terme à l’espoir du grand projet collectif d’un pays souverain. Cet échec non seulement entraîne un désabusement de la question politique, mais explique également la montée d’un individualisme triomphant où la performance et la réussite s’exercent au détriment des rapports humains, qui demeurent difficiles. En quelques décennies, le débat sur l’identité culturelle conduit la population à une ouverture à l’autre sans précédent et érige en impératif l’intégration des minorités culturelles à la majorité, par la langue française. Malgré les progrès liés aux nouvelles technologies et à la mondialisation, l’américanisation du monde engendre une homogénéisation quasi planétaire qui ne règle pas les problèmes : inégalités, menaces écologiques, terrorisme, manipulations génétiques, etc. Face aux nombreux dérapages de la postmodernité, on assiste à l’écroulement des certitudes et on tente de se réfugier dans l’illusion du plaisir, de la satisfaction facile et du bonheur sans contraintes.


Une littérature de l’ouverture à soi, aux autres et au monde

Les recherches formelles qui ont marqué la période précédente sont délaissées au pro-t d’une nouvelle conscience caractérisée par l’individualisme et l’intérêt pour la diversité, l’ici et l’ailleurs, la condition des femmes et le statut des Québécois issus de l’immigration.

Le roman

  • L’éclatement et la diversité

– Priorise l’individualisme : les écrivains ne se regroupent plus en écoles et cherchent plutôt à explorer des voies qui leur sont propres.

– Valorise le récit intimiste où l’intrigue est réduite au profit du héros et de sa quête, et porte un intérêt croissant pour l’autobiographie et l’autofiction.

– Étend le champ du romanesque : essor du best-seller québécois avec ses romans d’aventures, ses romans historiques et ses romans sociaux ; naissance de la science-fiction et du roman policier québécois ; retour en force, sous une forme renouvelée, du fantastique.

– Vise à dénoncer, par des récits parodiques, les formes traditionnelles de l’aliénation ou à souligner la déroute du temps.

Thèmes privilégiés :

Individualisme ; performance ; réussite ; difficultés des rapports humains et sociaux ; repli sur soi ou ouverture à l’autre ; quotidienneté ; quête d’identité personnelle ; marginalité ; sexualité

Auteurs marquants : Anaïs Barbeau-Lavalette ; Louise Bouchard ; Francine D’Amour ; Nicolas Dickner ; Jacques Godbout ; Monique LaRue ; Fred Pellerin ; Marie José Thériault ; Larry Tremblay

Auteures marquantes de la poésie autochtone : Joséphine Bacon ; Natasha Kanapé Fontaine

Auteures féministes : Nelly Arcan ; Denise Desautels ; Suzanne Jacob ; Francine Noël ; Monique Proulx ; Hélène Rioux ; Yolande Villemaire

Auteurs de best-seller : Yves Beauchemin ; Chrystine Brouillet ; Louis Caron ; Arlette Cousture ; Marie Laberge ; Michel Tremblay

Auteurs de roman policier : Jacques Côté ; Monique LaRue

Auteurs de science-fiction / fantastique : Alain Bergeron ; Jacques Brossard

Caractéristiques : procédés / effets

• Style simple et efficace pour les best-sellers; histoires pleines de rebondissements ; simplicité

psychologique des personnages.

• Prédilection pour le roman historique et le roman à épisodes.

• Refus de l’illusion réaliste.

• Abondance de narrateurs enfants ou adolescents : rebelles et inadaptés à leur milieu, ils proviennent de familles dysfonctionnelles et traversent des crises importantes ; ils s’expriment dans une langue maladroite, déforment les mots, font des calembours, s’amusent avec le langage.

• Expression personnelle, par l’auteur, de sa propre réalité, d’une manière qui rappelle la chronique.

• Écriture de récupération : intertextualité (citations, recyclage des mythes, reconstitutions historiques). • Déconstruction de l’intrigue linéaire, désordre chronologique, personnages anonymes, narration fragmentée, pluralité des voix narratives, déformation de la syntaxe, ponctuation libérée.

• Hétérogénéité des styles et des tons, fusion des genres narratifs, superposition des époques.

• Usage transgressif de la langue : expressions du terroir, mots anglais, autres expressions non conformes à l’usage écrit, recours fréquent à l’intertextualité. 

 

  • Les récits de l’errance

– Présentent des œuvres plutôt sombres et désespérées, inspirées d’expériences personnelles.

– Privilégient la ville, notamment Montréal, et investissent le territoire américain comme nouvel espace culturel (américanité assumée par les écrivains).

– Appellent au souvenir, à la mémoire collective pour s’approprier des fragments du passé an de mieux accepter le présent.

Thèmes privilégiés :

Désarroi et mal de vivre sous l’œil de la psychanalyse ; résignation ; indifférence ; consommation d’alcool et sexe ; ville ; américanité ; nomadisme

Auteurs marquants :

Nicolas Dickner ; Jean-Yves Dupuis; Louis Hamelin ; Jacques Poulin; Jacques Savoie

Caractéristiques : procédés / effets

• Réalisme dans la description des territoires.

• Réduction de l’intrigue au profit du héros (un antihéros, en fait) et de sa quête identitaire, renouant avec la tradition du roman psychologique (sans en avoir le cadre social).

 

 

  • La littérature métissée (ou migrante)

– S’interroge sur l’origine culturelle et l’intégration de l’immigré dans la société québécoise.

– S’ouvre à la fois au monde et sur le monde, et acquiert ainsi une conscience cosmopolite.

– Promeut le métissage des cultures et des écritures ; devient un pôle d’identification pour les minorités.

– Découvre et représente les identités multiples et fragmentées qui composent le territoire.

Thèmes privilégiés :

Errance ; appartenance ; particularité de l’expérience migratoire (liens avec la culture maternelle, sentiment de marginalité, difficulté d’insertion en sol québécois, etc.)

Auteurs s’intéressant à l’univers étranger :

Gil Courtemanche ; Louis Gauthier ; Pierre Gobeil ; Louis Hamelin ; Robert Lalonde ; Francine Noël ; Monique Proulx ; Sylvain Trudel

Auteurs immigrés au Québec :

Ying Chen (Chine) ; Sergio Kokis (Brésil) ; Dany Laferrière (Haïti) ; Marilù Mallet (Chili) ; Émile Ollivier (Haïti) ; Kim Thúy (Vietnam)

Caractéristiques : procédés / effets

• Contexte spatial pluriel et éclaté.

• Abondance des figures de confrontation, d’opposition.

• Présence importante des parallélismes et des retours dans le passé. 

 

La poésie : lyrisme urbain, espace intérieur et poésie métissée

  • Présente la vie urbaine comme toile de fond de l’expérience individuelle du poète.
  • Effectue un retour à la tradition qui associe poésie et philosophie : redécouverte de la dimension spirituelle de l’existence et recherche du sens sacré de l’univers.

Thèmes privilégiés : Amour et plaisir ; enfance et traces des blessures passées ; mort

Auteurs marquants du lyrisme urbain : Michel Beaulieu ; Claude Beausoleil ; Jean-Paul Daoust ; Patrice Desbiens ; Roger Des Roches ; Michel Garneau ; Pierre Morency ; André Roy ; Marie Uguay

Auteurs marquants de l’espace intérieur : Martine Audet ; Louise Bouchard ; François Charron ; Hélène Dorion ; Fernand Ouellet

Auteurs marquants de la poésie métissée : Antonio d’Alfonso (Italie) ; Joël Des Rosiers (Haïti) ; Marco Micone (Italie)

Caractéristiques : procédés / effets

• Repli individualiste et poésie de la subjectivité et du quotidien intériorisé (émotions, sensations, pulsions,

fantasmes et obsessions).

• Discours poétique narratif, dissymétrique et fragmenté. 

 

Le théâtre expérimental et le théâtre migrant

  • Reprennent (sous forme de pastiche, de parodie, d’hommage, d’adaptation, de référence implicite) des chefs-d’œuvre anciens qui demeurent une source d’inspiration, un idéal vénéré ou au contraire dénigré.
  • Abandonnent le misérabilisme pour se tourner vers un nouveau lyrisme.
  • Constituent le véhicule idéal pour la parole des femmes.
  • S’affirment comme un art de responsabilité sociale où la reconnaissance identitaire passe par un dialogue avec l’autre et sa différence (pluralisme culturel, errance, remise en question, altérité, urbanité, incertitude, etc.).

Thèmes privilégiés : Sujets à caractère individualiste (identité, homosexualité, névrose, etc.) qui rejoignent les grands mythes de l’humanité

Auteurs marquants du théâtre expérimental : Michel Marc Bouchard ; Dominic Champagne ; René-Daniel Dubois ; Évelyne de la Chenelière ; Robert Lepage ; Gilles Maheu ; Jean-Pierre Ronfard

Auteurs marquants du théâtre migrant : Pan Bouyoucas (Liban et Grèce) ; Abla Farhoud (Liban) ; Marco Micone ; Wajdi Mouawad (Liban)

Caractéristiques : procédés / effets

• Refus du texte au profit de la multidisciplinarité (danse, musique, peinture, sculpture, poésie visuelle ou sonore). • Sollicitation de la participation du spectateur dans la construction du sens.

• Prédilection pour le collage ou la juxtaposition de fragments qui proviennent d’autres horizons (arts, technologies ou simplement éléments du quotidien).

• Création collective : retour en force de la mise en scène. 

 

Source : Carole Pilote, Guide littéraire, Beauchemin, 2017