• Présentation du livre de Michel Tremblay: 

THÉRÈSE ET PIERRETTE À L’ÉCOLE DES SAINTS-ANGES. Roman de Michel Tremblay (Canada/Québec, né en 1942), publié à Montréal aux Éditions Leméac en 1980.

En même temps qu’il poursuit une carrière féconde de dramaturge (voir les Belles-Sœurs), Michel Tremblay écrit une œuvre romanesque imposante, sans nul doute l’une des plus importantes du Québec. Après Ç’t’à ton tour, Laura Cadieux (1793), Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges constitue le second volet des «Chroniques du plateau Mont-Royal» — à la suite de La grosse femme d’à côté est enceinte (1979) et avant La Duchesse et le Roturier (1984). Vaste fresque sociale pleine d’humour et de tendresse des quartiers pauvres de l’Est montréalais où a grandi Tremblay, ce cycle met en scène des personnages jumeaux de ceux montrés dans ses pièces de théâtre, dans la langue truculente du petit peuple québécois, qu’il saisit autour de 1942, durant la Seconde Guerre mondiale, à travers trois générations.

  • Résumé de Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges :

«Premier Jour». Thérèse, Pierrette et Simone, trois fillettes, vont à l’école des Saints-Anges, tenue d’une main de fer par mère Benoîte des Anges, qui terrorise tant les élèves que les religieuses de son institution. Simone Côté vient d’être opérée d’un affreux bec-de-lièvre grâce à la générosité du docteur Sanregret. Cette opération n’est pas du goût de mère Benoîte des Anges, qui reproche aux Côté de feindre la pauvreté et de ne pas répondre aux appels de dons. Sœur Sainte-Catherine, l’institutrice de Simone, tente de la protéger, de pair avec Thérèse et avec Pierrette, et provoque la colère de sa supérieure. Celle-ci décide de demander sa mutation dans une autre école de la congrégation. Sœur Sainte-Catherine, avant son départ, va s’épancher auprès de son amie, sœur Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus, avec qui elle doit préparer la Fête-Dieu. Durant ce temps, Charlotte Côté, la mère de Simone, et le docteur Sanregret vont s’expliquer avec mère Benoîte des Anges.

«Deuxième jour». Gérard, beau jeune homme de vingt ans, épie Thérèse, qui l’attire malgré lui et qui n’est pas insensible à son charme. Pour échapper à la tentation, il s’engage dans l’armée canadienne. Simone, sauvée par une lettre du docteur Sanregret des fureurs de la supérieure, se chamaille avec Thérèse et Pierrette. Marcel, le petit frère de Thérèse, discute pour sa part avec un chat imaginaire dont il est amoureux et va rendre visite à Florence et à ses filles, Mauve, Rose et Violette, dans une maison vide. Quant à sœur Sainte-Catherine, elle prépare la Fête-Dieu en tentant d’oublier ses malheurs, tandis que mère Benoîte des Anges rumine ses vengeances.

«Troisième Jour». Monseigneur Bernier, le curé de la paroisse, vient rendre visite à mère Benoîte des Anges. Il lui annonce que la supérieure qui dirige la congrégation a décidé, à sa demande, de maintenir sœur Sainte-Catherine dans ses fonctions. Mère Benoîte des Anges est effondrée. De plus, sœur Sainte-Catherine a l’impudence de choisir Pierrette, Thérèse et Simone pour jouer lors de la procession respectivement la Sainte-Vierge, sainte Bernadette et l’ange suspendu.

«Quatrième Jour». Survient le jour de la Fête-Dieu qui va consacrer la victoire de sœur Sainte-Catherine. Profondément humiliée, mère Benoîte des Anges se promet de se venger. Cependant, tandis que la procession s’en revient vers l’église, la pluie se met à tomber et le vent à souffler. Simone, ballottée dans les airs, est prise de panique: elle se dit que le prix à payer pour être belle est décidément trop élevé.

  • Analyse du roman : 

De même que dans La grosse femme d’à côté est enceinte, plusieurs tranches de vie s’entremêlent dans Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges et animent, durant les quatre jours qui précèdent les cérémonies de la Fête-Dieu, l’histoire colorée, réaliste et merveilleuse de tout un quartier. Au-delà des mœurs bizarres de l’institution religieuse et des états d’âme du trio «Thérèse pis Pierrette» (lequel inclut évidemment Simone), c’est l’aliénation populaire et l’hypocrisie sociale québécoises que cherche à décrire de sa plume corrosive Michel Tremblay.

Thérèse, Pierrette et Simone sont ainsi prétexte à plongée dans trois univers familiaux que réunissent la vie communautaire et la pauvreté. Il y a là, entre autres, Albertine, la belle-sœur de la «grosse femme», que tourmente l’absence de son mari, parti se battre en Europe, et qui s’inquiète des dérives imaginaires du petit Marcel. Si elle se met souvent «à varger sans discernement», elle choisit rarement ses victimes, car «ce n’est pas à elles, mais au monde entier, à la vie, à l’existence» qu’elle en veut. Il y a aussi Charlotte Côté, dont toutes les rancunes et les frustrations se déversent soudain «d’un seul souffle comme une dentelle de mots malades, un ruban de phrases sans fin, vert comme la rancœur et mouillé de bile» sur la mère Benoîte des Anges et sonnent comme une condamnation sans appel, car elle cherche désespérément à protéger son unique raison d’exister, son enfant. Il y a encore Victoire, la seule à voir le chat de Marcel, qui se débat avec l’ombre de la mort; Maurice, le frère de Simone, qui est amoureux de Pierrette, et Gérard — le seul homme, avec Mgr Bernier, dans cet univers de femmes et d’enfants — aux prises avec l’amour «déréglé» qu’il éprouve pour Thérèse et possédé, dans cette atmosphère puritaine, par sa tentation comme par le démon: «Encore la faute. Encore le péché. Encore la culpabilité. Encore Dieu.» Il y a, enfin, en contrepoint, la cohorte des religieuses de l’école des Saints-Anges, qui se déchirent souvent et vivent de menus complots, ravagées elles aussi par les frustrations et les remords, et que réunit parfois une amitié trouble, à l’image de celle que partagent sœur Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus et sœur Sainte-Catherine, laquelle finit par avoir l’audace de proposer à son amie de quitter les ordres: «Les péchés que nous risquons de commettre dans le monde sont certainement pas pires que ceux qui nous guettent dans cette école, Sainte-Thérèse!»

La démarche de Michel Tremblay est portée tant par le profond amour qu’il voue à ses personnages que par sa volonté de les délivrer de l’oppression qui les écrase comme une chape de plomb. Tous sont profondément humains, y compris dans leurs défauts et jusqu’aux plus odieux, mère Benoîte des Anges et Mgr Bernier. C’est à cette humanité engluée dans les interdits et les conventions, crispée sur les mesquineries et les rapports de force, mais aussi généreuse et tendre, bafouée et humiliée, que l’auteur québécois tente d’indiquer la voie d’un espoir et d’offrir la promesse d’un avenir libéré des tabous.

Parce qu’elle sert de révélateur, l’enfance est au centre de Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges. Déjà se dessinent les adultes que deviendront les enfants s’ils ne secouent pas le joug de leur destinée et l’emprise d’une religion qui abuse de la crédulité des fidèles. Et si les pages où le petit Marcel retrouve son chat et se laisse bercer par la musique de Mauve sont parmi les plus émouvantes du roman et dessinent une utopie, c’est Charlotte Côté qui exprime avec une véhémente détresse la réalité trop courante: «J’ai passé sept ans, icitte, y’a pas si longtemps, pis le souvenir que j’en ai, au lieu d’être beau, y me semble, le souvenir que j’en ai est mauvais, pis sale, pis tout croche à cause de folles comme vous qui comprennent rien aux enfants pis qui essayent d’en faire des marionnettes au lieu d’en faire des femmes!»

Avec légèreté et souvent l’air de ne pas y toucher, en maniant avec adresse la dérision, l’humour et l’ironie, Michel Tremblay formule une critique virulente de la société québécoise traditionnelle dont il restitue, dans les dialogues, le «joual» quotidien. Le récit, quant à lui, se voit porté par une langue somptueuse, pleine de verve et sûre de son art, qui déroule de longues phrases sinueuses, mais fluides, et entraîne le lecteur de manière jubilatoire.

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