• Présentation du livre d'Anne Hébert

KAMOURASKA. Roman d’Anne Hébert (Canada/Québec, née en 1916), publié à Paris aux Éditions du Seuil en 1970. Prix des Libraires 1971. Adapté pour le cinéma par Anne Hébert et le réalisateur québécois Claude Jutra en 1973, avec Philippe Léotard et Geneviève Bujold dans les rôles principaux.

  • Résumé du roman :

Dans la ville de Québec, Élisabeth d’Aulnières, femme respectable et âgée, mère de onze enfants, veille son mari, Jérôme Rolland, épousé en secondes noces pour sauver son honneur, et qui va mourir. En fermant les yeux, elle revit instant par instant la fulgurante passion qui a bouleversé sa vie. Elle avait seize ans, avait connu une enfance sauvageonne, entourée de femmes, ses trois tantes chaperons et sa mère. Elle avait épousé Jacques-Antoine Tassy, seigneur de Kamouraska, brute dépensière et désespérée. Et puis était arrivé Georges Nelson, jeune médecin de Sorel. La passion sauvage, les étreintes dans la neige, le désir absolu et très vite le scandale et l’insupportable présence d’Antoine Tassy entre eux. 1839: Georges Nelson se rend en traîneau jusqu’à Kamouraska, un voyage de quatre cents miles sur des routes désertes et glacées, à travers forêts et paysages immaculés, pour tuer l’autre. Sa maîtresse attend, jour après jour, le retour de celui qui doit lui apporter la nouvelle de son veuvage et de sa liberté retrouvée. Mais Nelson, la police à ses trousses, doit fuir vers la frontière des États-Unis. Pour Élisabeth vient le temps des témoignages, de la prison, de la honte, des regards lourds qui la suivent, de l’attente d’une lettre, la mort lente dans un temps qui se dilue. Deux ans s’écoulent, Élisabeth ne rejoindra pas Georges Nelson.

  • Analyse de Kamouraska :

La violence, la passion, le refus des conventions, la dénonciation des fausses apparences, l’ambiance étouffante de la vie provinciale, la mort désirée, la difficulté d’être et de se trouver, les corps retenus et cachés, voilà autant de thèmes présents dans Kamouraska et omniprésents dans l’œuvre d’Anne Hébert.

C’est grâce à l’amalgame du sommeil et de la mémoire qu’Élisabeth, victime d’une «dangereuse propension au sommeil», quitte presque tout au long du texte le présent de la narration, c’est-à-dire le moment où elle est Mme Rolland veillant son mari, pour s’échapper vers le passé. Dans un état de rêve éveillé où la mémoire renoue admirablement avec la chronologie des événements, Élisabeth se livre au monde des souvenirs entrecoupés de cauchemars. Les morts, les vivants, les sorcières, les fantômes hantent son inconscient, et leurs univers se confondent pour renverser les frontières du réel.

Élisabeth, Diane chasseresse, diablesse et sorcière, incarne la séduction et l’ivresse sensuelle irrésistibles. Ni l’éloignement ni les conventions sociales de son milieu n’ont entravé cette vitalité bouillonnante, cette faim dévorante qui ne peuvent se rassasier qu’en semant la mort. Pourtant, l’insistant brouillard qui flotte autour du récit, les poussières de souvenirs qui s’agglutinent brouillent les pistes d’une identité floue. Le personnage dont il est question, est-ce Élisabeth d’Aulnières, Mme Rolland, ou encore Mme Tassy? Et qui est cette femme noire, à la dernière page du roman, sans nom, sans visage, torturée par la «faim de vivre», que l’on a «déterrée, sous les pierres»? Est-ce vraiment Élisabeth, réduite à son essence, à sa pure identité? Parce que l’identité est insaisissable, le labyrinthe ne peut s’achever et l’incertitude demeure jusqu’au bout.

Une des images persistantes de Kamouraska, est celle de l’homme en noir dans un traîneau tiré par un cheval noir sur l’immense étendue blanche de neige: elle harcèle Élisabeth qui suit en rêve l’étrange équipage. Le contraste des couleurs esquisse une dialectique du noir et du blanc étendue à l’opposition du jour et de la nuit, de la chute et de la montée. Noir sur blanc, c’est la complicité du mal et du bien, la projection du conflit qui habite les personnages.

«Kamouraska» est un vieux nom algonquin qui signifie «jonc au bord de l’eau». Une eau partout présente sous forme de pluies, d’orages, de tempêtes qui liquéfient le paysage, les êtres et les choses, à l’instar de l’«âme moisie» d’Élisabeth. Des eaux qui déferlent au sang qui coule, il y a le passage par le noir. Le sang des règles, de la première nuit d’amour, des accouchements et surtout le sang du meurtre sont autant de hantises pour Élisabeth. Obsédante également, la rêverie de la neige qui domine Kamouraska, définie par Anne Hébert comme une «histoire de neige et de fureur». Celle-ci illumine, éblouit, brûle tel un feu mystérieux, porte en germe, dans un monde apparemment ordonné, toutes les secrètes violences, toutes les révoltes et tous les vertiges qui habitent les personnages, Georges et Élisabeth au premier chef, ces êtres écartelés, incapables de réconcilier les appels du bien et du mal.

Pour dire ce monde de magie, de fureur et de froid, pour correspondre à la confusion apparente de la recréation onirique, la prose d’Anne Hébert, rythmée, syncopée, saccadée, possède une véritable force incantatoire.

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