Le théâtre classique du XVIIe siècle : entre désordre et recherche de l'ordre

Si le XVIe siècle a été une période de troubles pour la société française (les guerres de Religion), on peut affirmer que le XVIIe siècle est celui d ' une volonté d'ordre avec l'affirmation du pouvoir royal et le début du règne personnel de Louis XIV. Dans le domaine littéraire et particulièrement théâtral, on retrouve cette orientation: imposition d'une orthodoxie littéraire avec la création de l'Académie française en 1635 et pouvoir d'influence des théoriciens du théâtre ; l'un d'eux, l'abbé d'Aubignac, à demande de Richelieu, établit des règles inspirées de la Poétique d'Aristote, comme le principe de vraisemblance : "La vraisemblance est, s'il le faut dire ainsi, l'essence du poème dramatique, et sans laquelle il ne se peut rien faire ni dire de raisonnable sur la scène. C'est une maxime générale que le vrai n'est pas le sujet du théâtre, parce qu'il y a bien des choses véritables qui n'y doivent pas être vues, et beaucoup qui n’y peuvent être représentées. [...] il n’y a donc que le vraisemblable qui puisse raisonnablement fonder, soutenir et terminer un poème dramatique. » (La Pratique du théâtre, 1657.)

Les trois unités du Théâtre Classique

Dès lors, ce principe de vraisemblance accepté impose le respect des unités d'action, de temps et de lieu : une intrigue principale qui se déroule en une journée dans un seul endroit. En outre, des règles de bienséance interdisent la représentation sur scène d'actes violents : au XVII' siècle, on tue et on meurt en coulisses !

Les trois genres dramatiques du théâtre du XVIIe siècle

La Tragi-Comédie : un Genre hybride et évolutif

Genre hybride puisqu'elle propose un dénouement heureux, a son heure de gloire dans le premier tiers du siècle. D'abord influencée par le baroque, elle ne s'embarrasse pas de contraintes formelles (comme par exemple la règle des trois unités) et n'hésite pas à montrer sur la scène des actes violents.

Cependant, elle se plie progressivement aux nouvelles règles et trouve dans la pièce de Corneille, Le Cid (1637), son expression la plus aboutie.

La Tragédie : gloire des grands auteurs

D'abord éclipsée par la tragi-comédie, la tragédie s'impose vers 1640 comme un genre majeur précisément défini : écrite en cinq actes et en alexandrins dans un registre soutenu, elle montre des personnages illustres (historiques ou légendaires) en proie avec une fatalité dont ils sont finalement les victimes. Son succès, initié par Corneille, connaît son apogée avec Racine.

La comédie : héritage de la farce et de la Commedia Dell'Arte 

La comédie : héritage de la farce et de la Commedia dell’Arte

Héritière de la farce et de la commedia dell'arte italienne, la comédie représente les travers d'une société et de caractères en provoquant le rire par les situations, les comportements et les jeux de mots. Écrite en vers ou en ptose avec un dénouement heureux, la comédie rencontre un public et un succès considérables dans la seconde moitié du siècle avec Molière.

La commedia dell’arte

Divertissement à l'état pur, elle a été popularisée en France par des troupes italiennes qui jouaient à l'hôtel de Bourgogne à Paris. L'intrigue de la pièce s'appuie souvent sur un simple canevas, une histoire d'amour contrarié, et sur les actions pour le faire triompher ;  si le texte est improvisé, en revanche, les personnages sont codifiés de manière caricaturale, portent des masques et des vêtements invariables.

Arlequin est un paysan maladroit ; Colombine, la servante maligne ; Brighella, un bourgeois malin ; Pantalon, un vieillard irascible ; Isabelle et Léandre, les amoureux pleins de ressources. Bouffonneries, bastonnades, comique de répétition, jeux visuels, mouvements incessants, lazzi (cabrioles et grimaces) sont les ingrédients d'un spectacle destiné uniquement à faire rire un public populaire.

Les Grandes Figures du Théâtre Classique : Corneille, Racine et Molière

Regardez- les ! Ils s 'avancent sur la scène ; ils  ont marqué le théâtre du XVIIe : pour chacun d'eux on retiendra trois éléments majeurs.

Pierre Corneille : pionnier du théâtre baroque et classique

Il participe à l'épanouissement du théâtre baroque avec des comédies comme Mélite (1629) et L'illusion comique (1636) où l'on retrouve les thèmes baroques majeurs : passion amoureuse, inconstance, univers d'illusion et de mouvement.

Tragi-comédie avant d'être appelée tragédie, Le Cid (1637) est caractéristique de l'expression cornélienne : cette œuvre conjugue une vision politique (l'opposition entre don Gomès et le roi don Fernand), un affrontement passionnel (entre les deux amants, Rodrigue et Chimène) et le conflit entre sens du devoir, de l'honneur, et sentiments (Rodrigue venge l'honneur de sa famille en tuant le père de Chimène). Avec ces héros, Corneille brosse un portrait de son idéal humain que l'on retrouvera par la suite dans toute son œuvre.  

L'Antiquité romaine - au programme éducatif des jésuites - lui fournit des figures et des situations fortes pour construire des tragédies où s'affrontent faiblesses humaines, exigence morale, héroïsme et enjeux de pouvoir. Ainsi, dans Horace (1640), l'affrontement de Rome et d'Albe se traduit par un combat mortel entre deux familles, les Horaces et les Curiaces, pourtant unies par des liens sentimentaux. Mais cette exaltation de l'héroïsme se teinte de pessimisme à partir de La Mort de Pompée (1644), pour laisser place aux seules ambitions et passions. On notera enfin que Corneille, élu à l'Académie française en 1641, participe à la codification du genre théâtral (Discours et Examens, 1660).

Jean Racine : l’expression aboutie de la tragédie classique

Son œuvre est l'expression aboutie du genre tragique. Racine applique en effet les principes aristotéliciens et les règles dramatiques en vigueur : cinq actes en vers ; des personnages de haut rang ; un acte d'exposition, les trois développant une action et le dernier proposant un dénouement mortel ; le respect de la règle des trois unités : une action en 24 heures, un seul lieu et une intrigue unique), Dans ses tragédies (onze en tout), les héros grecs ou romains (Phèdre, 1677; Britannicus, 1669) ou orientaux (Bajazet , 1672; Mithridate , 1673) sont aux prises avec une fatalité inexorable à laquelle, le temps de la représentation théâtrale, ils cherchent à échapper.

Il est aussi le peintre des passions humaines et de la fatalité : l'amour est le point central dans les tragédies raciniennes et autour de lui s'organise l'expression de la jalousie, de l'égoïsme, de la violence, de la soif de pouvoir et de la folie. L'impasse à laquelle aboutissent les héros raciniens le s conduit la plupart du temps à une solution extrême, la mort. Ici, l'éducation janséniste de Racine nous rappelle à quel point sa vision de l'homme est pessimiste.

Comment fonctionne la poétique racinienne ? Cette peinture de l'humanité, respectueuse des contraintes formelles, ne fait pas oublier à Racine la dimension esthétique de son œuvre : ainsi, il s'attache à produire  un discours stylisé  jouant sur  les différentes tonalités  (lyrique, pathétique, tragique, épique) avec l'ambition de captiver les « spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l'élégance de l'expression. [...] La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » Préface de Bérénice (1670).

Divertissement à l'état pur, elle a été popularisée en France par des troupes italiennes qui jouaient à l'hôtel de Bourgogne à Paris. L'intrigue de la pièce s'appuie souvent sur un simple canevas, une histoire d'amour contrarié, et sur les actions pour le faire triompher ;  si le texte est improvisé, en revanche, les personnages sont codifiés de manière caricaturale, portent des masques et des vêtements invariables.

Arlequin est un paysan maladroit ; Colombine, la servante maligne ; Brighella, un bourgeois malin ; Pantalon, un vieillard irascible ; Isabelle et Léandre, les amoureux pleins de ressources. Bouffonneries, bastonnades, comique de répétition, jeux visuels, mouvements incessants, lazzi (cabrioles et grimaces) sont les ingrédients d'un spectacle destiné uniquement à faire rire un public populaire.

 

Aristote et Racine

« Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu'ils soient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien exciterait plutôt l'indignation que la pitié du spectateur; ni qu'ils soient méchants avec excès, parce qu'on n'a point pitié d'un scélérat » . Racine, préface d' Andromaque, 1668.

Molière : Le maître incontesté de la comédie

Comédien, auteur, Molière possède le génie du théâtre ; pendant douze ans, à la tête d’une troupe qu'il dirige, il parcourt le Sud de la France et met en place un répertoire comique inspiré de la commedia dell'arte. Revenu à Paris, il redonne à la comédie une vitalité nouvelle : tradition des farces populaires (Les Fourberies de Scapin, 1671), comédie-ballet (Le Bourgeois gentilhomme, 1670), comédie d'intrigue, de mœurs et de caractères (Le Misanthrope, 1666), peinture satirique de la société à travers des pièces plus graves (Tartuffe, 1664 ; Dom Juan, 1665), composent un répertoire qui ignore la contrainte des règles formelles.

Mais c'est d'abord dans le registre comique que s'épanouit le théâtre de Molière : il met en scène des personnages ridicules, victimes d'une mode (Les Précieuses ridicules, 1659), ou absurdes par leurs excès (L’avare, 1668) et qui déclenchent le rire du public.

Ce théâtre de divertissement s'accompagne également d'une volonté de porter un regard critique sur son temps ; ainsi, sa pièce Tartuffe (1669), qui met en scène les manœuvres hypocrites d'un faux dévot, provoque de violentes réactions : attaquée par le clan des dévots, elle est interdite un temps ; Dom Juan, portrait d'un « grand seigneur méchant homme », est à son tour interdite par la censure au bout de quinze représentations ! Pour Molière, le théâtre doit donc avoir également une portée morale : « Si l'emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas pour quelle raison il y aura de privilégiés ». Préface de Tartuffe, 1669.


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