Antigone  est une pièce du dramaturge français Jean Anouilh, constituée d'un seul acte. Composée en 1942, elle ne put être jouée qu'en 1944 au théâtre de l'Atelier à Paris, dans une mise en scène d'André Barsacq, alors que la France est encore sous occupation nazie. La pièce est une réécriture libre de l'Antigone de Sophocle: « je l'ai réécrite, dit Anouilh, à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre. »

Résumé d'Antigone 

Le Prologue présente les personnages qui vont interpréter la tragédie. Celle-ci s’ouvre par le retour, à l’aube, d’Antigone au palais. Surprise par sa nourrice, Antigone lui demande d’être indulgente. Arrive sa sœur Ismène, qui refuse d’aller enterrer leur frère Polynice, car le roi Créon l’a interdit, en punition de la guerre fratricide qu’il a menée contre Étéocle. Désobéir entraîne­rait la mort. Antigone annonce à son fiancé Hémon, le fils de Créon, qu’elle ne l’épousera jamais. Elle avoue ensuite à Ismène qu'elle a recouvert Polynice. Un garde vient d’ailleurs l'annoncer à Créon. Alors que Créon tente d’étouffer l’affaire, les gardes reviennent avec Antigone, surprise en train de terminer sa besogne. Elle avoue alors son crime à Créon qui tente de la sau­ver par divers moyens : en gardant secrète cette désobéissance, en considérant Antigone comme une enfant, en minimisant ensuite l’importance des rites funéraires, pour lui expliquer les raisons politiques de son interdiction et lui montrer le caractère misérable de ses frères. A ce dernier argument, Antigone cède. Mais Créon parle du bonheur de vivre : Antigone, qui méprise ces mots, n’hé­site plus à mourir, et on l’emmène. Hémon demande en vain sa grâce à son père, tandis qu’Antigone dicte à un garde une lettre pour lui expliquer ; mais elle découvre à cet instant qu’elle ne sait plus pourquoi elle meurt. On apprend alors que Hémon a rejoint Antigone dans le tombeau où elle était enterrée vivante : devant Antigone pendue, il s’est poignardé. À cette nouvelle, sa mère Eurydice se donne la mort. Resté seul, Créon se rend au conseil.

Analyse de la pièce  

► Le mythe d'Antigone désacralisé 

Anouilh désacralise le mythe initial au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre tout d'abord puisque ne subsiste nulle transcendance dans cette version moderne. La fille d’Œdipe n’est pas soumise à la fatalité divine qui pesait sur les épaules de son père et dont elle était l’héritière ; au contraire, elle se place à l’ori­gine unique de son acte, transformant en devoir humain ce qui pouvait s’apparenter à un rituel rendu aux divinités. Lorsque Créon tente de la faire fléchir, il dénonce les rites funéraires comme étant ce « passeport dérisoire, ce bredouillage en série, cette panto­mime » dont elle peut avoir honte. Antigone ne conteste pas : elle n’agit pas pour les dieux, mais, comme elle le dit, pour elle-même. Le mythe est également désacralisé au sens figuré puisque Anouilh joue avec les conventions du drame antique, qui transformaient la représentation en cérémonie. Ici, un personnage représente le chœur tandis qu’un autre incarne le Prologue, présentant les per­sonnages en début de pièce dans la pure tradition de la commedia dell’arte. De nombreux anachronismes viennent en outre donner au drame une résonance moderne : Antigone réclame son café du matin, parle de son parfum et de son rouge à lèvres, etc. Cette tech­nique, en refusant l’épure antique, rapproche ainsi le spectateur de la scène : désormais, il n’est plus tenu à distance par le sacré, mais concerné au contraire par un drame moderne.

► Légalité contre légitimité.

Antigone cependant, malgré ces changements, demeure bien la figure de la contestation, celle qui fait valoir les droits du sang contre ceux de la loi. Il est pour elle légitime de demander à honorer la dépouille de son frère, même si cette demande n'est pas légalement applicable, à partir du moment où elle nie les fondements législatifs de la société. C’est pourquoi la discussion entre Créon, représentant de la loi, et Antigone, représentante du sang, est par avance inutile. Les deux êtres opposent deux don­nées irréconciliables : la revendication naturelle contre l’ordre cul­turel. L'apport de l’auteur à cette opposition éternelle est subver­sif. En effet, à force de nier toute justification de son acte, Antigone finit par devenir une figure creuse de la résistance, se battant par principe, plus que par conviction. Anouilh opère ainsi un léger glissement de la détermination vers l’entêtement, qui déstabilise tout discours définitif sur la valeur d’Antigone.

► Une tragédie de mots.

L’auteur fait beaucoup parler ses personnages dans un style souvent poétique qui cherche à susciter l'émotion de l'interlocuteur par l’usage d'une rhétorique de la persuasion. Une certaine complaisance avec le langage définit même les deux personnages principaux qui, dans la longue discussion centrale, tentent de don­ner une expression à toutes les significations de la crise. Et cette propension à la faconde constitue précisément ce qui les perd. Après avoir tant parlé, après s’être tant émue sur les motivations de son acte, Antigone ne sait plus pourquoi elle meurt. L’auteur le signifie dans la scène symbolique de la lettre. Dans ce moment topique de la justification héroïque, l’auteur met Antigone aux prises avec ce langage dont elle a tant usé. Au moment de se justi­fier, de donner une mémoire à son acte, elle ne sait plus quoi dire et fait rayer ses propres mots, les remplaçant par des mots usés : « je t’aime », qui contrastent avec son dégoût affiché des senti­ments trop évidents. Le piège semble ainsi se refermer sur une tra­gédie des mots, qui empêchent les êtres de donner un sens à leur acte. Pour Antigone, au moment même où elle paye de sa mort le prix de sa conviction, son acte ne veut, littéralement, rien dire.


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