1. La notion de marché

A l'origine le marché est un emplacement géographique - la place du village par exemple - où sont exposés à des dates fixes des marchandises destinées à la vente. Par la suite, dans les centres urbains, certains marchés deviennent permanents, c'est le cas notamment des bourses de valeur. Du fait des progrès des communications, cette localisation précise et visible des marchés n'est souvent plus d'actualité. Les vendeurs et les acheteurs peuvent être éparpillés sur le territoire national et parfois même dans le monde (pour certaines marchandises comme les matières premières) et être néanmoins reliés entre eux dans un marché, les transactions s'effectuant par courrier, téléphone ou télex.

Le marché est le lieu où s'effectuent des transactions, le lieu de rencontre d'une offre et d'une demande. Il symbolise l'environnement économique dans lequel sont placés les vendeurs et les acheteurs.

L'opposition entre le marché et l'Etat est souvent faite, elle est en partie trompeuse, puisque l'un et l'autre se complètent. Le marché ne peut fonctionner que s'il existe des règles définies par la puissance publique qui protègent les partenaires à l'échange. Un des rôles les plus importants de l'Etat étant sans doute de protéger la concurrence et non les concurrents. L'étude des marchés doit être complétée par une étude des organisations ( administrations publiques, firmes multinationales) qui les structurent en introduisant des principes d'ordre.

Les différentes structures de marché dépendent du nombre de producteurs en présence, ce qui permet d'opposer trois grands cas de figures : la concurrence, l'oligopole et le monopole.

Nombre de producteurs

Multitudes

Quelques uns

Un seul

Type de marché

Concurrence

Oligopole

Monopole

 

2. La loi de l'offre et de la demande

Le marché permet de décloisonner les transactions d'individu à individu, et à partir du moment où l'information circule librement, un état d'équilibre finit par s'établir entre le groupe des acheteurs et celui des vendeurs dont les intérêts respectifs sont naturellement opposés.

L'économie représentée comme un ensemble de marchés correspond à la vision de la théorie néo-classique. Sur ces marchés sont placés un ensemble indifférencié d'agents, chacun d'entre eux possédant une dotation en facteurs de production et des goûts fixés en matière de consommation. Les conditions techniques étant données, une position d'équilibre général correspond à la situation dans laquelle le système des prix est tel que tous les marchés sont équilibrés et dans laquelle il n'est pas possible d'améliorer la position d'un individu en modifiant son offre de production ou sa dépense de consommation sans détériorer la situation d'au moins un autre.

Sur chaque marché la courbe de demande décrit la variation des quantités demandées par les consommateurs en fonction de l'évolution des prix. Lorsque les biens sont normaux (absence d'effet de snobisme) les consommateurs préfèrent pour un même bien un prix réduit à un prix élevé. La demande est donc une fonction décroissante des prix.

Si sur un marché l'offre est supérieure à la demande, la concurrence entre les entreprises amène une baisse des prix, nécessaire pour écouler les invendus. Dans le cas contraire, si la demande est supérieure à l'offre, les producteurs sont en position de force et ils peuvent donc accroître leurs prix. Dans ces deux cas de figure, la variation des prix se poursuit jusqu'à ce que le déséquilibre entre l'offre et la demande se résorbe entièrement. Le prix se stabilise lorsque l'offre est égale à la demande, cette situation permet de déterminer un prix (Pe) et une quantité échangée d'équilibre (Qe).

Sur certains marchés (comme celui du logement ou des produits agricoles), l'Etat peut être tenté de fixer un prix maximum légal (pour protéger par exemple les locataires) ou un prix minimum légal (pour protéger les agriculteurs).

Dans le premier cas le blocage des prix à un niveau inférieur au prix d'équilibre du marché entraîne des pénuries, dans le second cas il provoque inévitablement des excédents.

Les effets d'amplification sont toujours très marqués. Le blocage des loyers- qui peut apparaître comme une simple mesure de justice sociale - amène un décalage spectaculaire entre le nombre d'appartements demandés et offerts. Les locataires en place sont privilégiés, ils exigent lors de leur départ des droits de reprise. On assiste à une dégradation du parc de logements, les propriétaires n'ayant plus intérêt à les entretenir, ce qui amplifie encore plus la pénurie.

3. Les types de marché

a. Le marché concurrentiel

le marché concurrentiel existe lorsqu’une multitude de vendeurs est confrontée à une multitude d’acheteurs. C’est le cas des foires aux bestiaux traditionnelles ou du marché monétaire.

Notons que le modèle de concurrence pure et parfaite reste théorique. Dans la réalité, comme l'a noté Joan Robinson (L'économie de la concurrence imparfaite), les consommateurs ne réagissent pas tous de la même manière aux écarts de prix existants entre les différents points de vente. Il est clair que l'inertie des comportements, l'ignorance des prix affichés par les autres concurrents, les coûts de transport, la notoriété attachée à une marque connue peuvent fausser hl logique du choix.

Néanmoins, en situation de concurrence, le prix est fixé à l'extérieur de l'entreprise par la rencontre de l'offre et la demande sur le marché. La courbe de demande qui s'adresse à une entreprise est horizontale. Faire varier sa production est donc la seule manière pour l'entreprise de maximiser son profit, puisque par hypothèse elle n'a pas d'influence sur le prix du marché.

Si l'entreprise accroît ses ventes d'une unité, sa recette augmentera de la valeur sur le marché de l'unité additionnelle. La recette procurée par cette unité (recette marginale, Rm)- si le producteur n'a pas d'influence sur le niveau des prix- va être égale au prix (P) qui prévaut sur le marché.

Rm =P.

La fonction de profit (π) dépend des quantités vendues (q) :

π =px q    -y(q) , avec y(q), sa fonction de coût.

Pour que cette fonction soit maximale, il faut que sa dérivée première s'annule :

dπ / dq = P - y'(q) = 0 ↔ P = y'(q)

↔ Rm = Cm

L'entrepreneur qui désire maximiser son profit en concurrence pure et parfaite doit égaler son coût marginal (Cm) au prix de vente de sa production (règle qui gouverne la décision de production en concurrence pure et parfaite).

En conséquence, l'entrepreneur ne peut augmenter son profit en augmentant sa production, uniquement si l'accroissement de son revenu provoqué par la vente d'une unité supplémentaire excède l'augmentation de son coût (Cm).

La condition de maximisation du second ordre exige que :

d π / dq = - y"(q) < 0 ↔ y"(q) > 0.

La fonction de coût marginal doit être croissante pour la valeur de la production qui maximise le profit. Si le Cm était décroissant, l'égalité du prix et du coût marginal donnerait un point pour lequel le profit serait minimal.

L'entrepreneur ne produit plus au-delà de q*, car une unité supplémentaire de produit lui coûterait plus cher qu'elle ne lui rapporterait.

Ce résultat n'est valable qu'en concurrence pure et parfaite, l'entrepreneur n'a pas de prise sur le prix du marché (price taker), s'il réclame un prix supérieur à celui du marché il perd toute sa clientèle. Quant aux entreprises qui ont une structure de coût défavorable, elles sont éliminées du marché.

La concurrence pure et parfaite repose sur cinq hypothèses :

  1. Atomicité. - Les consommateurs et les producteurs qui interviennent sur le marché sont très nombreux : c'est leur rivalité qui donne sa force aux mécanismes de la concurrence. Du fait de leur très grand nombre les décisions des agents prises individuellement n'ont pas d'influence (ou une influence négligeable) sur la variable prix qui régule le marché.
  2. Homogénéité des produits. - Les biens qui font l'objet de transactions sont fabriqués de manière homogène chez les différents producteurs. Il n'y a pas de différences de qualité qui conduiraient à segmenter le marché et à fausser la concurrence par les prix. Les produits sont objectivement semblables et de ce fait il n'y a pas d'élément de confiance qui inciterait les consommateurs à s'approvisionner auprès de tel entrepreneur plutôt qu'auprès de tel autre (anonymat des agents).
  3. Information parfaite. - Les entrepreneurs et les consommateurs ont, les uns et les autres, une information complète sur les transactions qui peuvent s'effectuer autour d'eux ou sur les offres et les demandes qui peuvent se manifester avant que les transactions proprement dites ne se déclenchent. En conséquence, le prix qui prévaut est unique.
  4. Entrée libre. - Il n'y a pas de discrimination pour entrer sur le marché, n'importe quel nouveau consommateur ou producteur peut consommer ou produire dans les mêmes conditions que ceux qui sont déjà en place. Il n'y a donc pas de barrière à l'entrée, de droits de douanes, de quotas ou d'ententes entre les producteurs.
  5. Mobilité des facteurs. - Les facteurs de production peuvent se déplacer ou être déplacé d'un marché à un autre.

 

b. L'oligopole

Un marché oligopolistique rassemble un petit nombre de producteurs face à un grand nombre d'acheteurs. Les lois qui gouvernent ce type de marché sont plus complexes que dans le schéma traditionnel de la concurrence. Puisque les oligopoles comprennent un nombre suffisamment restreint d'entreprises pour que l'action de n'importe quelle d'entre elles ait une influence sur la situation des autres firmes.

Il s'agit d'une situation de marché, dans laquelle la concurrence existe, mais elle est atténuée (possibilités d'ententes, les produits ne sont pas totalement identiques). Chaque entreprise cherche à se fixer un niveau de production qui maximisera son profit. Mais ce calcul est aléatoire, car le profit dépend en grande partie du comportement des autres entreprises (la production de chaque firme va influencer le prix de marché). Le prix va résulter des stratégies menées par les oligopoleurs, il n'est ni une donnée extérieure (cas de la concurrence pure et parfaite) ni une variable parfaitement déterminée par l'entreprise (cas du monopole).

La grande entreprise cherche à incorporer en son sein des activités qui lui étaient extérieures (approvisionnement, distribution) pour faire face à l'incertitude et à l'instabilité des marchés et donc pour se prémunir contre une certaine inefficacité productive. Cette recherche de la stabilité peut devenir une motivation supérieure à la recherche de la maximisation du profit ou à la volonté de faire croître sa part de marché. Dans ce cas, pour éviter des guerres de prix fratricides et une course effrénée à l'innovation, la survie de l'entreprise et la tranquillité de ses dirigeants peuvent être assurées par des ententes ou par la formation de cartels.

c. Le monopole

A la différence de la concurrence pure et parfaite, pour vendre une unité supplémentaire, le monopoleur doit abaisser le prix qu'il reçoit pour chaque unité vendue (toute expansion de la production entraîne une réduction du prix de vente).

Alors qu'en concurrence pure et parfaite : courbe

 Pour le monopoleur, la recette totale s'écrit :

RT = P x q

 d'où:

Rm = dRT/dq = P + q x (dP/dq) = P (l + 1/ԑ)

avec ԑ : élasticité de la demande par rapport aux prix.

En situation de concurrence parfaite :

dP/dq = 0

d'où:

Rm= p.

En situation de monopole : dP/dq ≠ 0

Rm = P + q x (dP/dq) avec dP/dq < 0

(décroissance de la courbe de demande).

On a donc Rm < RT.  

La fonction de profit s'écrit :

π = RT-CT

A l'optimum :
d π/dq = RT'- CT'(q) = 0 ↔  RT' = CT'

↔ Rm = Cm

La condition du second ordre exige que :

Dπ/dq = RT"- CT" < 0 ↔ RT" = CT".

Le taux d'accroissement de la Rm doit être inférieur au taux d'accroissement du Cm.

Cette condition est toujours satisfaite lorsque la courbe de R, est décroissante et celle du Cm croissante.

Le monopoleur peut accroître son profit en augmentant sa production aussi longtemps que le revenu supplémentaire obtenu (R,) est supérieur au coût supplémentaire supporté (Cm).

La théorie néoclassique de la firme démontre que le monopoleur n'a pas intérêt à produire au maximum de ses possibilités de production. Mais, il doit produire jusqu'au point où Cm = R,.

Si un monopoleur jouait le jeu de la concurrence pure et parfaite, il produirait une quantité plus importante à un prix plus bas.

« Le monde moderne se présente comme une immense accumulation de marchandises. » Jamais peut-être la célèbre formule de Karl Marx (1818-1883) qui ouvre son livre Le Capital n’a eu autant d’actualité. Tous les ex-pays communistes, ou presque, ont basculé dans l’économie de marché. Dans les pays en développement aussi, l’économie traditionnelle laisse place au monde marchand. Entre les pays enfin, la libéralisation des échanges (marché unique européen, Organisation mondiale du commerce) s’impose. Bref, partout semble régner la « loi du marché ». Mais que recouvre au juste cette loi du marché ?

4. Théories du marché et de son fonctionnement 

Pour décrire le fonctionnement de ces types de marchés les économistes ont eu recours à plusieurs approches.

Adam Smith et la main invisible

La première formulation est due à Adam Smith (1723-1790), père du libéralisme économique. Selon l’auteur de Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), le marché est d’abord synonyme d’échange. Le cordonnier a intérêt à acheter son pain au boulanger et ce dernier à lui acheter ses chaussures. De la division du travail, il résulte une plus grande efficacité d’ensemble et chacun gagne à y recourir. Pour A. Smith, offre et demande d’un bien s’équilibrent spontanément par le fait qu’une offre excédentaire est rapidement supprimée puisqu’elle ne trouve pas de client. La loi du marché fonctionne donc comme une « main invisible » qui décide au mieux de la production et de la répartition des richesses en fonction de la préférence des acheteurs.

Le modèle néo-classique du marché

Un siècle plus tard, Léon Walras (1834-1910) tentera de donner une formulation mathématique au modèle du marché. Il a recours pour cela à la construction d’un modèle abstrait, utile pour raisonner rigoureusement sur les relations entre variables (prix, offre, demande…). L. Walras invente ainsi un modèle du marché très simplifié dit « pur et parfait » (voir concurrence pure et parfaite).

Le modèle Arrow-Debreu

Une troisième étape survient dans les années 1950. Elle correspond à une reprise et une extension du modèle de L. Walras. Alors que celui-ci décrivait un marché unique, le modèle standard, Kenneth J. Arrow et Gérard Debreu ont construit un modèle généralisé où plusieurs marchés sont coordonnés entre eux. Ce modèle « Arrow-Debreu » représente le modèle de référence de la micro-économie.

Les nouveaux modèles micro-économiques

Le modèle du marché avec une concurrence pure et parfaite, qui sert de référence aux études en micro-économie, est très éloigné de la réalité. Dans la plupart des marchés, il n’y a ni une infinité de vendeurs ni une infinité d’acheteurs. De plus, ces derniers ne sont pas en état de négocier les prix, parce qu’ils ne sont pas au courant de tous les prix pratiqués, ce qui limite l’effet de concurrence. Pour tenter d’intégrer toutes ces données dans des modèles plus réalistes, la micro-économie s’est lancée dans la construction de nombreux sous-modèles de marché (« marchés contestables », « marchés efficients » ou encore « concurrence imparfaite »).

Les approches socio-économiques

Les sociologues et les économistes institutionnalistes jugent les modèles mathématiques du marché irréalistes. Dans la lignée de Karl Polanyi (1886-1964), les socio-économistes proposent d’aborder les marchés à travers leur histoire, la diversité de leurs formes et leur « inscription sociale ». Par « inscription sociale », on entend toutes les institutions et les normes sociales qui encadrent les règles du jeu concurrentiel : intervention régulatrice de l’État, normes et règles de confiance qui structurent les relations de commerce…