LES REGISTRES DE LANGUE : DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES

Parmi toutes les possibilités lexicales et syntaxiques du français; l'auteur fait des choix qui correspondent à ses intentions littéraires, selon le milieu et la culture de ses personnages, de ses lecteurs, et de lui-même à son époque. Il adopte donc un code propre à une situation de communication déterminée : c'est ce qu'on appelle le registre de langue. Découvrir le ou les registres de langue d'un texte permet de mieux com­prendre ce que l'auteur a voulu mettre en œuvre.        

Toutes les gradations sont possibles, mais on distingue fondamentalement trois registres : au niveau soutenu, l'auteur choisit des mots rares et des structures complexes ; au niveau courant, il adopte le code habituel du plus grand nombre sans recherche et sans relâche­ment ; au niveau familier, il emploie une langue proche des conversations quotidiennes.

Le lexique employé dans chaque registre

Registre courant : les mots sont compris sans difficulté et les expressions sont le plus sou­vent lexicalisées, sans effet particulier (« les grandes dames »).

Registre soutenu : le vocabulaire est rare, recherché, littéraire (« fugitive ») ; les expres­sions impliquent des références littéraires, historiques, artistiques, bibliques, mytholo­giques... Mais il ne faut pas confondre vocabulaire soutenu et vocabulaire spécialisé, c'est-à-dire les termes propres à une science : botanique, médecine...

Registre familier : les termes employés sont sur le dictionnaire évidemment qualifiés de familiers (« vinasse »), de populaires (« soûlards »), ou même de vulgaires ou argotiques. Les expressions, très imagées (« à vous peler la langue »), relèvent de la vie quotidienne : nourriture, sexualité, travail, jeu... La transcription imite parfois le langage parlé. Les néologismes sont fréquents (« bouffatoire »).

La syntaxe caractéristique de chaque registre

Registre courant et soutenu : les temps rares comme l'imparfait du subjonctif ne se trou­vent guère qu'au niveau soutenu (« eût refusé »), qui reste dans l'ensemble plus puriste dans ses constructions. Sa syntaxe est nettement plus complexe ; phrases aux nombreuses subordonnées parfois enchâssées (« ces goujats qui, même dans le présent qu'un artiste... ») ; groupes nominaux à déterminants nombreux et parfois fort éloignés du nom (« compo­sée... dédiée..., inspiration, attention... »)...

Registre familier : la grammaire n'est pas respectée : peu de concordance des temps et des modes, verbes construits librement (« je me dégustais le pinard »), ne des locutions négatives absents (« j'arrivais pas... »)... Et la syntaxe est simplifiée : juxtaposition plutôt que subordination, phrases nominales (« gymnastique buccale... »).

LE CHOIX D'UN REGISTRE DE LANGUE

L'auteur veut informer sans autre effet

Plus son langage est simple, mieux il atteint son but. Mis à part les cas de communications techniques ou scientifiques exigeant un langage spécialisé, le registre courant est alors le plus adéquat.

L'auteur veut donner l'illusion réaliste

Pour évoquer le milieu socioculturel de ses personnages, il peut alors adopter, non seule­ment dans les dialogues, mais aussi dans le récit, un registre de langue correspondant à ce milieu socioculturel (le narrateur de Cavanna est un fils d'ouvrier immigré italien).

L'auteur veut dénoncer par l'ironie ce qu'il constate, ou s'en amuser

Il peut alors mêler plusieurs registres de langue, créant la distance ironique ou humoris­tique par effet de surprise (texte 3 : l'enfant se venge ainsi de l'indifférence de sa mère).

L'auteur veut transmettre une vision du monde

Son projet est alors de montrer quelle relation l'homme peut entretenir avec le monde. Un niveau soutenu pour des événements banals peut témoigner de la transfiguration du quotidien (Proust)...

Un langage familier peut révéler le désir de voir le monde par les yeux des gens simples (Cavanna)...

EXEMPLES DE REGISTRES DE LANGUE

Les textes suivants appartiennent tous les trois au xxe siècle, et développent tous les trois le même thème des plaisirs du palais. Mais chacun le fait dans un niveau de langue différent.

Texte 1: registre de langue familier 

« Un soir d’été, il faisait une chaleur à vous peler la langue, je venais de découvrh Rabelais, j’avais la tête pleine de beuveries héroïques et d’aimables soûlards, maman m’envoie tirer le vin. La subite fraîcheur de la cave, sa riche odeur compliquée de vieilles vinasses bues par la terre et de moisissures paisibles, c’était Gargantua conti­nué, j’étais frère Jean des Entommeures, j’avais une soif de païen, le tonneau m’appe­lait comme une femme en rut. Je me suis couché tout du long par terre, la tête sous la cannelle, comme dans la chanson, et j’ai tourné le robinet. D’abord, c’était trop fort, j’arrivais pas à avaler, ça me coulait partout, et puis je sentais même pas le goût. J’ai réglé le jet. En petit filet mince, ça allait au poil. Je me dégustais le pinard bien à l’aise, le tournais dans ma bouche, faisais nager à contre-courant ma langue craquelée par la canicule. J’avalais seulement pour faire de la place à la goulée suivante.

En fait, le vin, j’aime pas tellement. J’étais surtout en pleine littérature. Autosugges- tionné comme c’est pas permis. »

Cavanna, Les Ritals, 1978. Éd. Belfond 

Texte 2: registre de langue soutenu

« Quand tout cela était fini, composée expressément pour nous, mais dédiée plus spé­cialement à mon père qui était amateur, une crème au chocolat, inspiration, attention personnelle de Françoise, nous était offerte, fugitive et légère comme une œuvre de circonstance où elle avait mis tout son talent. Celui qui eût refusé d’en goûter en disant : “J’ai fini, je n’ai plus faim”, se serait immédiatement ravalé au rang de ces gou­jats qui, même dans le présent qu’un artiste leur fait d’une de ses œuvres, regardent au poids et à la matière alors que n’y valent que l’intention et la signature. Même en lais­ser une seule goutte dans le plat eût témoigné de la même impolitesse que de se lever avant la fin du morceau au nez du compositeur. »

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913. 

Texte 3 : registre de langue courant, mais avec des emprunts aux autres registres

« Anne-Marie a sa mine de gourmandise britannique, à la fois appliquée, compassée et savourante — une lady peut très bien avoir de l’appétit. Elle se nourrit, cérémonieu­sement. Les rites du thé dans toute leur rigueur. Avec une dignité ferme et preste, elle étend sur un toast du beurre et de la marmelade. Gestes précis, une certaine bonne franquette “dignified”, les grandes dames peuvent se le permettre. Elle se ressert, boit plusieurs tasses à petites gorgées, et mâche toast sur toast. Gymnastique buccale... Eh bien... Anne-Marie, moi je trouve ça dégoûtant... Cette façon de savourer, indéfi­niment, cette maniaquerie des bonnes manières masticatoires. Elle mange, elle est heureuse de manger, elle n’est qu’un estomac à écusson, je n’existe pas à côté du thé, du pain grillé et de la confiture d’orange. Ma mère est absorbée par son égoïsme bouf- fatoire. »

Lucien Bodard, Anne-Marie, 1985. Éd. Grasset

EXERCICES SUR LES REGISTRES DE LANGUE

Exercice 1: reconnaître le lexique propre à un registre

Vous avez ci-dessous une première liste de mots appartenant au registre courant, puis une deuxième liste de mots ou expressions appartenant aux deux autres registres. Pour chacun des termes de la première liste, cherchez dans la deuxième liste les deux mots ou expres­sions qui lui correspondent, l'un du registre familier; l'autre du registre soutenu.

Disposez l'ensemble en trois colonnes (une par registre de langue), en plaçant sur une même ligne les trois termes qui se correspondent.

Première liste :

travailler ; paresseux ; ennuyeux ; travail ; fatigué ; s’empresser ; maison ; eau ; arriver ; tapage ; misère ; voler ; protester ; médecin ; flatter ; lit ; mourir.

Deuxième liste :

potin ; passer la brosse ; survenir ; dénuement ; baraque ; tumulte ; dérober ; crever ; barbant ; œuvrer ; docteur ; job ; récriminer ; faire diligence ; indolent ; bosser ; purée ; onde ; encenser ; claqué ; piquer ; fastidieux ; tré­passer ; se grouiller ; cossard ; couche ; labeur ; rouspé­ter ; demeure ; exténué ; plumard ; flotte ; disciple d’Esculape ; s’amener.

Exercice 2 : passer d'un registre à un autre

Les définitions suivantes sont extraites de l'article d'une journaliste qui s'est amusée à regrouper sous forme de dictionnaire les mots les plus fréquemment utilisés. Lisez ces définitions. Essayez de les traduire en lan­gage courant.

Bétonner : abattre une quantité de travail énorme et fina­liser rapidement un boulot. J’suis soufflé! fean-Jean, en philo, il bétonne comme un malade sur le sujet : To.be or not to be?

Halluciner : quand une histoire est à dormir debout, on manifeste son état de choc en disant : « J'hallucine ». On envoie un photographe en reportage, très loin, on le raque très cher, il revient avec des pelloches toutes voilées et vow dit : « OK, on n'y voit que dalle, mais de toute façon, i faisait mauvais, alors ça change rien au topo. » Ben là, vow hallucinez totalement.

Déjanter : sauter les plombs, disjoncter, déconnectei Insiste pas Octave, toutes les nuits de teuf en teuf et lejou pointer à9h chez Glandu and Co, not possible (à pronon cer comme Clark Gaybeule)/ Moi, je mets un bémol, parc que je déjante grave.

Problock : un problème, un ennui de toute sorte est u problock. Si t’accumules les problocks, prends ta valoch en carton, débloque 3 000 balles, raque un aller simple pot Tombouctou.

Soûlante : quelqu’un de très loquace a une soûlante sup< rieure, un bagou hors calibre. Quand j’entends le Big Bos je mets la matière grise en veilleuse, yeux et oreilles < hibernation. Mieux vaut être sourdingue que Ventend baver sa soûlante!

Triste : toujours précédé de la négation « pas ». Lito signifiant : hilarant. Les cong’pay’ à Sauciflard-sur-M c’est pas triste comme ramassis de viandox sur les plages  Valentine Rodrigue, 20 ans, nov. 1987

Exercice 3 : quelle syntaxe pour un registre de langue

Le passage suivant est situé au début d'un roman policier. D'après son lexique et sa syn­taxe, quel est son registre de langue ? Pour­quoi l'auteur a-t-il choisi ce registre de langue ?

« Il alla avaler un demi-comprimé de somnifère avec un peu de lait. Il se rendormit sans problème vers trois heures. Le lendemain de bon matin tout le monde se leva et partit en vacances. Comme Gerfaut avait pris la précaution de se libérer dès le 29 juin, la circulation était fluide. Grâce à cela et aux autoroutes, ils mirent moins de sept heures de temps, repas de midi compris, et sans excès de vitesse, pour atteindre leur destination. Le soir du 29 juin, ils couchèrent donc à Saint-Georges-de- Didonne. Et le lendemain, on essaya de tuer Georges Gerfaut. »

Jean-Patrick Manchette, Le Petit Bleu de la côte ouest, 1976. Éd. Gallimard.

Exercice 4 : trouver le registre correspondant à un personnage

Trois personnages, la maîtresse, le valet et le jardinier, sont en scène. En vous appuyant sur les registres de langue, trouvez qui est qui et justifiez l'emploi du registre de langue correspondant.

« Phocion : Enfin serai-je libre ? Je suis persuadée qu’Agis attend le moment de pouvoir me parler ; cette haine qu’il a pour moi me fait trembler pourtant. Mais que veulent encore ces domestiques ?

Arlequin : Je suis votre serviteur, Madame.

Dimas : Je vous saluons, Madame.

Phocion : Doucement donc !

Dimas : N’appriandez rin, je sommes seuls.

Phocion : Que me voulez-vous ?

Arlequin : Une petite bagatelle.

Dimas : Oui, je venons ici tant seulement pour régler nos comptes.

Arlequin : Pour voir comment nous sommes ensemble.

Phocion : Eh ! de quoi est-il question ? Faites vite ! car je suis pressée.

Dimas : Ah çà ! comme dit c’t’autre, vous avons-je fait de bonne besogne ? »

Marivaux, Le Triomphe de l’amour, 1732. 

Exercice 5 : registre de langue et attitude du narrateur

Quel est le registre de langue des termes uti­lisés: 

  • pour qualifier la mort
  • pour qualifier la réaction du narrateur
  • pour introduire les réflexions du narra­teur ?

Qu'en concluez-vous sur l'attitude du narrateur face à la mort, face à la guerre ?

« Ce colonel, c’était donc un monstre ! A présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son tré­pas ! Je conçus en même temps qu’il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l’armée d’en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout. Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, s’arrêteraient-ils ? Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.

Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? »

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932. Éd. Gallimard.

 

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