René est un roman de François-Auguste-René Chateaubriand. Il a été publié en 1805 en français sous le titre René, ou les effets de la passion, et une édition révisée par Atala (1801). Il raconte l'histoire d'une sœur qui entre au couvent au lieu de se donner à sa passion pour son frère. Dans cette œuvre autobiographique à peine déguisée, Chateaubriand inaugure la mode romantique des héros mélancoliques, lassés du monde, souffrant de désirs vagues et inassouvis, que l'on appelle depuis le mal du siècle.

Résumé de René

René, Français émigré en Amérique, est un jeune homme au caractère mélancolique, fuyant volontiers la société et ne fréquen­tant que Chactas, son père adoptif, et le père Souël. Le mystère qui entoure ce jeune Européen taciturne exilé en ces terres sauva­ges attise la curiosité des deux hommes qui pressent René de leur faire le récit de ses infortunes. Tout d’abord réticent, il cède enfin à leurs désirs et raconte comment, sa mère ayant succombé lors de son accouchement, il a été élevé loin du toit familial. En dépit de cet éloignement et de son caractère tôt marqué par la mélancolie, l’enfant connut une enfance heureuse, notamment lors de ses séjours au château en automne, où la fréquentation de la nature et la présence de sa sœur Amélie l’emplissaient de bonheur.

Après la mort de son père, il reste seul avec elle ; cependant, ayant renoncé au monastère, il décide de vaincre l’ennui qui l’en­vahit par le voyage. À son retour en France, plus seul que jamais, fui par Amélie elle-même, le jeune homme s’enferre en d’amères réflexions sur le cours du temps et laisse libre cours à son désen­chantement. Il mène une vie solitaire à la campagne et projette alors de mettre fin à ses jours. Amélie, ayant décelé ses intentions, le rejoint et quelques mois heureux s’écoulent. Elle décide cepen­dant de se réfugier au couvent pour y trouver le repos de l’âme. Désespéré et ne comprenant pas la décision de sa sœur, René tente en vain de l’infléchir ; après avoir revu le château désormais désert de son enfance, René assiste sur la demande d’Amélie à la cérémonie de sa profession, où elle lui avoue enfin sa passion coupable. Il décide alors de s’embarquer pour la Louisiane où il apprendra la nouvelle de la mort de sa sœur tant aimée. Après ses confidences, et comme Chactas partage sa douleur, l’allocution finale du père Souël l’enjoint à se déprendre de ses passions et à rentrer dans le sein de la société. Les trois protagonistes meurent peu après, mas­sacrés par les Natchez et les Français.

Analyse de René

► La peinture du vague des passions.

À l’origine, René a été conçu par Chateaubriand pour illustrer le chapitre du Génie du Christianisme intitulé « Du vague des pas­sions », en représentant une passion extrême liée à l’interdit majeur de l’inceste. Dans ce bref récit dont les personnages et l’objet sont identiques à ceux d’ Atala, Chateaubriand inaugure une réflexion tout à la fois historique et « sociologique », mon­trant comment les énergies contemporaines accusent une propension à tourner à l’entropie, parce qu’elles exercent leur empire sur un sujet sans expérience et ne trouvent pas d’objet extérieur à lui- même. En effet, la sœur représente ici métaphoriquement comme un autre soi-même, selon une structure qui ne réfère cependant pas exactement au fameux mythe du Narcisse, car elle se lit égale­ment comme le déplacement névrotique d’un amour voué à la mère dont le personnage se sent coupable d’avoir provoqué la mort. On comprend ainsi dans quelle mesure on peut lire ce récit comme un traité de l’imagination malade, dont l’étiologie renvoie autant à l’histoire personnelle qu’à l’histoire collective épinglée par Chateaubriand invoquant dans sa Préface de 1805 la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments,[qui] rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et on n’a plus d’illusions.

C’est bien à une situation proche de celle de Phèdre qu’on a ici affaire, mais dans une perspective où la religion joue un rôle plus explicitement clair, et dans le même temps tout aussi ambigu.

L’ambivalence du religieux.

Dans Le Génie du Christianisme, Chateaubriand énonce une première ambivalence de la religion, en montrant que le désenchan- lernent inhérent à l’époque provient de l’insistance du christianisme à présenter la misère du monde humain tout en affirmant sa foi en un monde meilleur après la mort. Toutefois, la tentation légitime du sujet à la fuite hors de ce monde, si elle est permise lorsqu’elle se monnaye en retraite conventuelle, ne saurait en aucun cas excuser les tendances suicidaires, ce que le P. Souël exprime sans ambages. Préparant la parade aux maux qu’elle a elle-mcme contribué à for­mer, la religion s’avère ainsi salvatrice puisqu’elle apporte un frein aux passions ; opposée à une dogmatique rigoriste, la religion telle que l’auteur l’appelle de ses vœux est emplie de douceur et de sensi­bilité, mais qui ne voit la différence marquée entre un P. Aubry et un P. Souël ? Si René constitue bien une peinture de la misère humaine au sens pascalien du terme, il n’empêche que Chauteaubriand semble conclure un peu vite à une mort heureuse de l’hé­roïne, et que la morale du père Souël masque bien imparfaitement la puissance de désir mise au jour dans le récit, qui ne saurait se satisfaire des atermoiements religieux. Aussi paraît-il légitime de se demander dans quelle mesure le récit n’introduit pas en sous-main un discours qui contredit précisément le but qu’il s’était proposé, en pré­sentant finalement la religion, grande et terrible, comme une autorité certes sublime, mais aussi castratrice et en lisière d’inhumanité, plus efficace politiquement que subjectivement.

► Le Mal du siècle.

René est incontestablement le texte fondateur de ce que l’on nommera plus tard le « Mal du siècle ». Présentant une sensibilité et aussi bien une sensualité engluées dans l’ennui, le récit se dégage de toute trame, évite la succession de péripéties, pour se centrer sur l’évocation du drame intérieur du personnage princi­pal : c’est donc la conscience, et la frustration de son désir, qui devient l’espace narratif, rendant compte de cette hypertrophie du moi sur lequel s’établira le romantisme. Dans ce récit plus contes­tataire qu’il n’y paraît, mettant au jour la pulsion des sens hors du cadre moral, naît le mythe d’un mal propre au siècle, fondé sur la contradiction entre les aspirations du sujet et les obstacles oppo­sés par la société à leur réalisation. D’où un certain masochisme qu’il faut sans doute comprendre comme le retour sur le sujet des désirs qu'il lui est interdit d’extérioriser. Impuissant à se réaliser, au sens propre du mot, le sujet actualise, dès ce texte en quelque sorte originel, l’alternative qui va traverser nombre de romans du XIXe siècle : la fuite (au couvent, dans la mort ou dans une mélan­colie tournée vers le passé) ou bien l’opposition au système, sous quelque forme que ce soit, en montrant un personnage déchiré par les pôles contradictoires du terrestre et du divin. Ici s’inau- gure bien un règne : mais sans doute est-ce moins celui de la reli­gion que celui de la conscience désenchantée, en butte à une Loi devenue pour elle inhabitable

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