ORIGINE ET DÉFINITION DU ROMAN

Le terme de « roman » date du Moyen Age. Il a d’abord désigné la langue vulgaire issue de l’évolution du latin parlé par le peuple : le roman s’opposait au latin des gens cultivés. Par extension, le mot a désigné dès le XII' siècle un récit versifié en langue romane (XIIIe : le Roman de Renart dans le genre satirique, le Roman de la Rose dans le genre didactique).

Par évolution ultérieure, ce type d’écrit renonce à la forme poétique. A partir du XVIIe siècle, le roman se définit comme une œuvre de fiction en prose, racontant les aventures et l’évolution d’un ou de plusieurs personnages. En tant que récit de fiction, il se distingue de la nouvelle par sa longueur, et du conte par son souci de vraisemblance.

CARACTÉRISTIQUES DU ROMAN

Le système d’énonciation du roman est celui d’un narrateur s’adressant à des lecteurs qu’il ne connaît évidemment pas, à la différence du conteur des veillées traditionnelles qui racontait son histoire à des auditeurs réels. On dit que le narrateur s’adresse à des lecteurs virtuels. Par conséquent, lui aussi ne s’engage pas autant qu’un narrateur présent. Il peut ne jamais intervenir, se faire en quelque sorte oublier, et de fait il est rare qu’il intervienne pour donner explicitement son avis. Par exemple, si le narrateur balzacien introduit volontiers des commentaires explicatifs dans le cours de son récit, dans les romans de Maupassant, on ne constate habituellement pas d’intrusion du narrateur : il reste dans l’anonymat.

Les critiques contemporains insistent beaucoup sur un autre aspect de l’énonciation romanesque : la distinction entre l’auteur et le narrateur. L’auteur est celui qui a imaginé l’intrigue ; le narrateur est celui qui est chargé de la raconter, et on ne doit pas les confondre. Même dans un récit à la troisième personne, où aucune distinction n’est explicitement faite entre un auteur et un narrateur, il vaut mieux ne pas dire que c’est l’auteur qui raconte l’histoire. L’auteur reste extérieur à l’énonciation elle-même, qui est toujours assumée par un narrateur.

Dans certains récits, l’auteur peut faire mine de reproduire le manuscrit d’une autre personne, pour ne pas prendre en charge l’énonciation. C’est par exemple le cas de Diderot qui, parce que son récit est quelque peu sulfureux, fait comme si son roman La Religieuse était en fait la longue lettre écrite par son héroïne à un bienfaiteur auquel elle raconte le désastre de son existence. Le roman à la première personne est d’ailleurs souvent trompeur, quand on ne dit pas explicitement qui est le « je » : dans A la recherche du temps perdu, beaucoup de lecteurs, y compris des critiques éminents, sont souvent tentés de confondre le narrateur qui dit « je » avec l’auteur Proust, et à prendre, alors le récit pour une autobiographie.

Outre le système d’énonciation, une autre caractéristique du roman est la volonté de faire croire à la réalité de ce qui est raconté. Il faut que le lecteur soit pris au jeu. Il l’est parce qu’il s’identifie au personnage, parce que les aventures racontées sont vraisemblables, parce que le décor est planté avec précision, ou pour d’autres raisons encore. Mais sans cette mystification acceptée par le lecteur, sans ce « pacte de lecture », il ne peut y avoir de roman. C’est d’ailleurs cela même que Diderot démonte dans son antiroman Jacques le Fataliste, où il nous fait savoir à chaque instant qu’il est en train de nous mystifier : par exemple, il interrompt son récit, nous dit que ce qu’il vient de raconter n’est pas vrai, et imagine derechef un autre scénario.

LE ROMAN ET SON PUBLIC

Avant le XVIe siècle, les romans étaient surtout récités à des auditoires nobles ou bourgeois : les manuscrits étaient rares, les textes étaient donc appris par des conteurs (trouvères et troubadours), et de plus leur forme poétique se prêtait à la diction.

Dès le XVIe siècle l’imprimerie permet le développement de la lecture personnelle. Mais jusqu’à la Révolution française, trop peu de gens du peuple savent lire. Une tradition orale se maintient donc : les romans sont fournis par la littérature de colportage qui sillonne les campagnes et les bourgs, et les romans sont lus pendant les veillées par ceux qui ont la chance de pouvoir le faire. Parallèlement, la noblesse, qui sait lire, ne dédaigne pas toujours le roman, mais il reste un genre frivole dont la lecture est déconseillée par les directeurs de conscience, ce qui éloigne plus d’un lecteur, et surtout plus d’une lectrice.

Au XIXe siècle, le nombre de lecteurs connaît une progression extraordinaire. Le colportage poursuit son implantation dans les milieux populaires, grâce à la parution de brochures rendues très bon marché par l’évolution industrielle de l’imprimerie. La petite bourgeoisie profite aussi de cette situation et acquiert à petits prix des rééditions de romans des siècles précédents. Mais l’invention la plus spectaculaire est celle du roman en feuilleton, qui peut exister grâce à l’évolution de la presse à grand public. Il va favoriser l’apparition de romans populaires comme Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, mais il est aussi fréquemment le moyen de faire connaître les nouvelles œuvres d’écrivains célèbres, comme Balzac par exemple (Une ténébreuse affaire).

Les éditeurs aussi évoluent : ils s’initient à la pratique des campagnes publicitaires, se lancent dans la publication à grand tirage, baissent les prix. C’est ainsi que peu à peu le roman de librairie prend le relais de la littérature de colportage : les campagnes deviennent moins peuplées, il est facile de se servir dans les magasins de la ville, qui sont approvisionnés par la publication à grand tirage. Au XXe siècle, les lieux de vente se diversifient, au point que l’on parle de littérature de gare pour désigner des romans vite écrits et vite lus qu’on achète au kiosque avant de prendre un train. En fait, des livres de poche présents dans les supermarchés aux éditions de luxe les plus coûteuses, de l’infralittérature des magazines aux romans les plus difficiles, chacun peut trouver la forme et le contenu qui lui convient. Les émissions littéraires de la radio et de la télévision, ainsi que les prix littéraires, contribuent à solliciter les lecteurs de romans.

LE ROMAN AU XVIe SIÈCLE

Le XVIe siècle n’offre pas encore d’œuvre française qu’on pourrait appeler roman au sens moderne du terme. Les récits écrits par Rabelais s’en rapprochent, mais sont encore du domaine du conte par le fait que les personnages principaux sont des géants. Il faut cependant noter que Rabelais en profite pour faire la parodie des romans de che­valerie antérieurs. On lit aussi des versions simplifiées des grands romans médiévaux, ou des traductions de romans étrangers.

Le XVIIe siècle Au XVIIe, le roman connaît un remarquable essor. L’Astrée d’Honoré d’Urfé influence pour toute une période les comportements amoureux d’une fraction de la bonne société. Le roman baroque favorise l’imagination, situant les intrigues dans des milieux champêtres idéalisés (L’As­trée), dans des cadres histo­riques un peu fantaisistes (Clélie, Histoire romaine, de Mademoiselle de Scudéry). La réaction réaliste à ce type de roman passe d’abord par la parodie (Le Roman comique de Scarron) avant de trouver son aboutissement dans le contexte social et surtout psychologique que crée le roman classique : La Princesse de Clèves, de Madame de La Fayette, ouvre alors pour le roman une ère nouvelle.

LE ROMAN AU XVIIIe SIÈCLE

Malgré les succès remportés au XVIIe, le roman était encore considéré comme un genre mineur et suspect. On estime maintenant que le roman acquerra ses lettres de noblesse en faisant oublier qu’il est pure fiction. Ainsi, on prétend très souvent qu’il s’agit de mémoires (La Reli­gieuse), de témoignages fidèle­ment rapportés (Manon Les­caut), d’échanges épistolaires (La Nouvelle Héloïse), autant de moyens pour donner l’apparence de la réalité à la fiction représentée.

Pour plaire à ses lecteurs bourgeois de plus en plus nombreux, et pour peindre cette classe montante, le roman s’éloigne des représen­tations aristocratiques idéali­sées et se met à décrire des héros d’origine obscure, qui parviennent à faire carrière, comme Le Paysan parvenu de Marivaux.

Pendant tout le siècle, la sen­sibilité du public se délecte d’histoires d’amour malheu­reuses et pathétiques : Manon Lescaut de l’abbé Prévost (1731), La Nouvelle Héloïse de Rousseau (1761), Paul et Vir­ginie de Bernardin de Saint- Pierre (1788).

La réflexion morale sur l’amour conduit Choderlos de Laclos à punir le vice, et tout particulièrement le vice aris­tocratique, dans Les Liaisons dangereuses (1782), tandis que Sade, au contraire, fait triompher la perversion et la cruauté (Justine ou les Prospé­rités du vice, 1797).

Quant à Diderot, sa réflexion, très moderne, porte sur la mystification romanesque : dans Jacques le Fataliste, il démonte, par les ruptures du récit, les mécanismes de cette mystification (voir plus haut).

LE XIXe SIÈCLE : ÂGE D’OR DU ROMAN

C’est le grand siècle du roman. Dès le Ier empire, les « romanciers du moi » décri­vent des états d’âme dans des fictions fortement autobiogra­phiques (Oberman de Sénancour). C’est déjà un premier aspect du Romantisme, et le plus célèbre de ces romans est René de Chateaubriand.

Cette tendance intimiste est relayée par une autre ten­dance romantique : le roman à caractère historique. Vigny évoque dans Cinq-Mars (1826) les troubles politiques sous Richelieu ; V. Hugo recrée l’atmosphère du Moyen Age parisien dans Notre-Dame de Paris. Beaucoup plus tard dans le siècle, ce type de roman offre encore des chefs- d’œuvre : Salammbô (1862) de Flaubert, Quatre-vingt- treize de V. Hugo. Il évolue parallèlement pour donner un type de romans d’aventure qui fera le succès d’A. Dumas père (Les Trois mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo).

Si le roman prend alors un tel essor, c’est aussi parce qu’une nouvelle formule vient d’être créée, qui conquiert un immense public : le roman- feuilleton. Le plus célèbre, Les Mystères de Paris, est écrit par Eugène Sue.

La description de la société devient la préoccupation de la plupart des écrivains. Balzac veut dans son œuvre démon­trer l’interaction entre les êtres et le milieu : l’individu est façonné par un milieu qu’il façonne à son tour ; l’héroïne d’Eugénie Grandet en est un exemple frappant. Le réalisme puis le naturalisme (Zola, Maupassant) permettent à cette peinture de se prétendre la plus fidèle possible.

A la fin du siècle, le retour à la force de l’imaginaire explique une œuvre comme celle de Jules Verne, précurseur de la science-fiction, mais aussi des courants plus spiritualistes et mystiques (Barbey d’Aure­villy).

LE ROMAN AU XXe SIÈCLE

Le roman est de très loin le genre dans lequel les publica­tions et les lecteurs sont les plus nombreux.

Jusqu’aux années 50, l’œuvre de Proust domine l’évolution du genre romanesque : A la recherche du temps perdu est à la fois une analyse psycholo­gique, une fresque sociale, et une réflexion sur la relation entre l’art et la vie, tout cela dans un style d’une grande originalité.

Les autres romanciers de la première moitié du siècle poursuivent en général le genre romanesque tradition­nel. On note chez certains un renouvellement de l’écriture : Céline mêle de façon surpre­nante tous les registres de langue ; Giono parvient à un art consommé de la méta­phore. Les sujets traités s’atta­chent souvent à décrire à la fois les destins individuels et l’histoire collective (Malraux, Sartre, Camus...)

Mais dans les années 50 surgit une contestation radicale, celle du Nouveau Roman, qui prône la disparition des notions de personnage, d’intrigue, de chronologie, pour mieux reproduire le désordre de la vie, où rien ne commence ni ne finit, sans une perception du temps qui devient subjective. Claude Simon, Michel Butor, Margue­rite Duras... appartiennent à cette nouvelle génération. Elle fait évoluer les conceptions, mais les écrivains des années 70-80 explorent déjà d’autres possibilités : M. Tournier veut contribuer à créer les grands mythes contemporains (Ven­dredi ou les Limbes du Paci­fique) ; J-M.G. Le Clézio montre que l’écriture crée des questions et donne des réponses (Désert). Après le succès de L’Œuvre au Noir, M. Yourcenar devient très célèbre et va être la première femme élue à l’Académie française (1980).

Parallèlement se développe depuis longtemps une littéra­ture facile pour grand public. Sa valeur esthétique et imagi­native est contestée, souvent à juste raison, mais elle a aussi permis l’émergence d’œuvres intéressantes, en particulier dans la science-fiction (Barjavel) et le roman policier (Simenon).