I- Résumé de Gargantua de Rabelais

Le roman s’ouvre sur la découverte, dans un tombeau, de la généalogie de Gargantua, suivie des « fanfreluches antidotées », vers sibyllins où se croisent des références politiques, mythologiques et religieuses. On assiste ensuite à la naissance du géant par l’oreille gauche de sa mère, puis à sa prime enfance, marquée par l’abandon au plaisir, un goût précoce pour le vin et une joyeuse inventivité (le torchecul). Le narrateur décrit alors longuement la livrée du héros qui se distingue par l’emblème platonicien de l’Androgyne et la devise de saint Paul : « La charité ne cherche pas son propre avantage » ; c’est également l’occasion d’un discours sur la signification symbolique des couleurs blanche et bleue qui se clôt par la condamnation de certaines interprétations fallacieuses des rébus. Commence alors la période de l’éducation de Gargantua : après l’action désastreuse des sophistes, son père Grandgousier le confie à Ponocratès (« le travailleur » en grec), nourri des idéaux humanistes.

Lors d’un voyage à Paris, Gargantua a affaire à une jument qui dévaste le bois du pays ; pour mettre fin à ses forfaits, il vole alors les cloches de Notre-Dame qu’il lui passe autour du cou ! La première partie s’achève sur le programme éducatif mis en place par Ponocratès afin de rédimer Gargantua, fondé sur la diversité des disciplines, la nécessité de l’expérience et la référence à l’Antiquité.

La seconde partie s’ouvre sur la guerre picrocholine opposant le monarque conquérant, Picrochole, à Grandgousier et Gargantua autour de Chinon. C’est l’occasion de développements épiques pendant lesquels frère Jean des Entommeures fait son entrée dans le récit, défendant son abbaye avec le bâton de sa croix. Picrochole refuse alors la proposition de paix de Grandgousier faite par l’intermédiaire de l’émissaire Ulrich Gallet, car, dominé par ses passions, il prête l’oreille à de mauvais conseillers qui flattent son ambition. Le récit de la guerre qui oppose les deux monarques est ponctué de scènes comiques : du gymnaste pris pour un diable déguisé jusqu’aux six pèlerins mangés en salade, en passant par la scène où Gargantua fait tomber en se peignant les boulets d’artillerie. Après la défaite de Picrochole prend place la célèbre « contion » de Gargantua aux vaincus, dans laquelle il révèle une libéralité ennemie du laxisme ; il récompense ses frères d’armes et décide, sur la requête de frère Jean, de fonder à Thélème une abbaye établie sur des règles contraires à celles traditionnellement en usage.

L’architecture de l’abbaye s’inspire des règles renaissantes et la devise « fay ce que voudras » en fait une sorte de cité modèle utopique. Le roman se clôt sur l’énigme trouvée au fond de l’abbaye qui affirme la confiance répétée en Dieu.

II- Analyse de Gargantua

► La veine comique et satirique de Rabelais.

Encouragé par le succès de Pantagruel, Rabelais décide d’écrire la vie du père de son héros, Gargantua. Pour ce faire, il emprunte le schéma traditionnel des romans de chevalerie, décrivant la naissance puis les prouesses merveilleuses du héros éponyme avant d’achever son récit par un moniage (retraite dans une abbaye). La structure du Gargantua est donc globalement fidèle au modèle médiéval, mais la liberté du conteur manifeste qu’il n’est pas dupe de son récit. En effet, il renverse le modèle généalogique médiéval et affiche bien souvent une joyeuse désinvolture à l’égard de la vraisemblance des faits narrés, infléchissant la tradition dans le sens d’une grande liberté d’invention, notamment dans les patronymes des personnages, sans reculer devant l’hyperbole humoristique ni les évocations scatologiques (le fameux torchecul), qui introduisent dans le roman une veine burlesque et un comique de situation très personnels. L’imaginaire débridé de Rabelais, conjugué à une grivoiserie assumée où l’ivresse le dispute à la gourmandise, en fait selon Kundera l’inventeur du roman grâce à la distance que le rire permet d’établir à l’égard de la réalité. Toutefois, l’humour du Gargantua s’assigne également une visée plus élevée, car il sert à opposer la foi vulgaire à la véritable confiance dans les promesses de Dieu ; à ce titre, l’épisode des pèlerins engloutis par Gargantua révèle, derrière le comique, la satire dénonçant l’inutilité des moines et le culte des saints : preuve que la verve rabelaisienne masque un discours qui utilise le burlesque à des fins théoriques qui nourrissent la substance du roman.

► Éducation et pouvoir.

L’éducation de Gargantua constitue en fait la ligne principale du récit ; à l’instigation de Grandgousier découvrant les bonnes dispositions de son fils, celui-ci est confié tout d’abord à des sophistes dont l’enseignement, engoncé dans une tradition poussiéreuse, s’avère catastrophique. De fait, le roman exhibe l’opposition entre un système ancien constamment déprécié, incarné par la Sorbonne, et le renouveau humaniste symbolisé par Ponocratès, clivage rejoué par l’éloquence précise et admirable du page Eudémon qui tranche avec l’exposé laborieux de Janotus de Bragmardo. On peut d’ailleurs analyser le gigantisme comme la métaphore humaniste d’un insatiable appétit de vie et de connaissances. Le narrateur prend ainsi fait et cause pour un nouveau type d’enseignement dans lequel l’idéal humaniste théorique de la diversité des matières et la référence au modèle antique doivent impérativement être complétés par l’expérience pratique. Ainsi la vertu doit-elle s’éprouver, et, dans ce sens, la guerre picrocholine prend place dans l’éducation de Gargantua qui atteste sa maturité dans son discours aux vaincus, et peut ainsi accéder à une royauté mesurée dans laquelle la sagesse marche de concert avec la raison. Le roman fraye alors avec le genre de « miroir des princes » en montrant au jeune géant la voie la plus sage afin de bien gouverner, opposant la soif conquérante de Picrochole à la souveraineté féodale de Grandgousier, pour lui permettre de dépasser à son tour le modèle du père afin d’acquérir la légitimité d’un pouvoir mesuré.

► La fonction de l'abbaye Thélème.

L’abbaye de Thélème apparaît de prime abord comme le point d’attraction final du roman, proche de la cité utopique décrite par Thomas More, dans laquelle seuls peuvent pénétrer ceux qui épousent ses idéaux (voir l'inscription sur la porte d’entrée). Lieu de nulle part où l’organisation sociale garantit bonheur et liberté réglée, cette abbaye fondée au rebours de la tradition monacale (la devise, les jeux, la mixité, etc.) affirme la tentation, après les développements épiques, d’un retrait hors des turbulences mondaines, but ultime de l’éducation gargantuesque en un lieu apaisé où le sujet puisse vivre en accord avec lui-même et les autres. Toutefois, le narrateur insiste sur la possibilité d’en sortir (notamment pour se marier), c’est-à-dire qu’il invite à considérer Thélème comme une étape, une forme de collège où l’individu puisse se former, afin de retrouver le monde en ayant acquis une stabilité morale et une instruction qui lui permettent de s’y mouvoir plus aisément. On retrouve exactement ici le constant souci d’une éducation théorique nécessairement appelée à s’affronter au réel ; et sans doute est-ce cela même que doit également découvrir le lecteur souhaité par Rabelais : lui aussi, comme les Thélémites, doit entrer dans le livre pour en saisir la signification (voir les intrigues qui ouvrent et ferment le roman) afin de la réaliser, au sens plein du terme. Saisir, finalement, que, comme l’affirme le narrateur, le rire est le propre de l’homme entier (à l’inverse de Picrochole qui ne rit jamais), un rire qui édicté non seulement la loi du plaisir, de la satire et de la verve, mais énonce plus profondément la vertu majeure de la joie, précieux corollaire de l’espérance.

 

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