I- Texte: Hernani, Acte I, scène 2

La scène se déroule en 1519, en Espagne. L’action dure six mois et multiplie les changements de lieux. Ces entorses aux règles classiques provoquent une violente polémique. Mais Hernani est aussi un drame de l’amour ; si Dona Sol et Hernani s’aiment, un monde les séparent.

Doña sol.

Je vous suivrai.

Hernani.

Parmi mes rudes compagnons ?

Proscrits dont le bourreau sait d’avance les noms,

Gens dont jamais le fer ni le cœur ne s’émousse,

Ayant tous quelque sang à venger qui les pousse ?

Vous viendrez commander ma bande, comme on dit ?

Car, vous ne savez pas, moi, je suis un bandit !

Quand tout me poursuivait dans toutes les Espagnes :

Seule, dans ses forêts, dans ses hautes montagnes,

Dans ses rocs où l’on n’est que de l’aigle aperçu,

La vieille Catalogne en mère m’a reçu.

Parmi ses montagnards, libres, pauvres et graves,

Je grandis, et demain, trois mille de ses braves,

Si ma voix dans leurs monts fait résonner ce cor,

Viendront... vous frissonnez, réfléchissez encor.

Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les grèves,

Chez des hommes pareils aux démons de vos rêves ;

Soupçonner tout, les yeux, les voix, les pas, le bruit,

Dormir sur l’herbe, boire au torrent, et la nuit

Entendre, en allaitant quelque enfant qui s’éveille,

Les balles des mousquets siffler à votre oreille.

Être errante avec moi, proscrite, et, s’il le faut,

Me suivre où je suivrai mon père, — à l’échafaud.

Doña sol.

Je vous suivrai.

II- Analyse et commentaire: 

Objectifs

L’étude du personnage théâtral : sa présentation dans une scène d’exposition. L’analyse d'un type de personnage : le héros romantique.

Repères

Au début de 1829, Alexandre Dumas a connu un grand succès théâtral avec Henri III et sa cour, et il apparaît comme le chef de file du nouveau drame historique. Victor Hugo, dont on connaît bien les théories sur le drame romantique depuis qu’il a publié la Préface de Cromwell en 1827, considère urgent de montrer ce qu’il est capable de faire en termes de réalisation concrète, s’il ne veut pas voir se ternir son prestige.

Il propose Un duel sous Richelieu, première ver­sion de Marión Delorme, qui ne rencontre pas le succès espéré.

Hugo se lance alors dans l’écriture d'Hernani, qu’il boucle entre fin août et fin septembre. La première représentation, en février 1830, se fait devant une claque de jeunes gens du quartier latin soi­gneusement recrutés par les amis de Hugo, dont le plus actif est certainement Théophile Gautier. Dès le début de la représentation, par­tisans et adversaires du nouveau drame s’af­frontent : c’est la bataille d'Hernani, qui va se pro­longer de spectacle en spectacle jusqu’au moment où Hernani quitte l’affiche. Effectivement, Hernani ne respecte pas les règles classiques : il n’y a pas d’unité de lieu, puisque la scène se situe tantôt à Saragosse, tantôt dans les monts d’Aragon, tantôt à Aix-la-Chapelle. L'unité de temps n’est pas mieux respectée, puisque le drame s’étend sur plusieurs mois. Quant à l’action, elle est très complexe, puisque se mêlent une intrigue politique et une intrigue sentimentale.

Mais Hernani n’illustre pas parfaitement les prin­cipes définis par Hugo lui-même dans sa préface : le mélange des genres, par exemple, n’apparaît que très épisodiquement dans un ensemble où l’on voit surtout la tragédie d’Hernani d’emblée voué à la mort.

 

 

Une scène d’exposition

Les première scènes d'une pièce permettent de découvrir les personnages principaux et les éléments de l'intrigue. Dans les quatre premiers vers de ce texte, Hernani présente ses compagnons. On peut relever les termes qui les définissent et les classer dans un tableau.

 

 Informations

Citation du texte

Leur statut social

« proscrits »

Leur valeur personnelle

gens dont jamais « le fer ni le cœur ne s’émousse »

Leur but

« ayant tous quelque sang à venger qui les pousse »

Leur destin

« dont le bourreau sait d’avance les noms »

 La construction du dialogue

les longues tirades sont condamnées par le théâtre romantique, mais Hugo s'applique à les intégrer judicieusement au dialogue. C'est ainsi que les deux répliques de Dona Sol sont stylistiquement reliées à la tirade.

La première réplique de Dona Sol devient en fait le début de la phrase d’Hernani, comme elle est le début du vers que poursuit Hernani. Elle se rattache aussi au vers suivant par l’appel do sonorité entre les deux verbes « suivrai » et « sait ».

La deuxième réplique de Dona Sol est reliée au dernier vers d’Hernani par un effet de répétition : « je suivrai mon père » devient « je vous suivrai ». Et la reprise est accentuée par le fait que par deux fois Hernani reprend ce même verbe dans sa tira­de, rappelant par là que son discours répond à ce qu'elle dit :

  • « me suivre dans les bois... » (v. 16) ;
  • « me suivre où... » (v. 23).

Pour donner plus de vivacité à la tirade et la relier au dialogue, un détail montre qu' Hernani est attentif aux réactions de son interlocutrice. Ce détail se situe au vers 15 : Hernani inter­rompt son discours pour dire « vous frisson­nez ! », montrant par là qu’il a surpris un mou­vement de son interlocutrice.

Comme l’indique la remarque qu'il fait ensuite, Il est avant tout attentif aux moyens qu’il peut se donner de lui faire abandonner son projet (« réflé­chissez encore »), puisqu’il veut la persuader de ne pas le suivre.

Hernani: un héros romantique

1. Hernani est un héros romantique: tourmenté, homme de la nuit, hantant des lieux et des climats sauvages. On retrouve ces traits dans la description de sa vie.

Tourmenté : il ne peut accepter de rentrer dans le rang ;

Homme de la nuit : sa situation de proscrit en luit un être de l’ombre, donc de la nuit au sens symbolique du terme.

Cette référence est étayée par la référence directe à la nuit et aux inquiétudes et angoisses qu'elle sécrète toujours (vers 20 à 22) ;

Lieux et climats sauvages : dans ses forêts, dans ses hautes montagnes » (deux lieux très prisés par la solitude et la déré- llctlon romantiques) ;

« dans ses rocs, où l’on n’est que de l’aigle aperçu » (paysages grandioses qui ne sont pas h la mesure de l’homme ordinaire) ; dans les bois, dans les monts, sur les grèves ». ( :o qui ressort surtout de cette description du héros romantique, c’est son lien avec la nature sauvage, et sa solitude d’homme différent du commun des mortels.

2. Le héros romantique est un révolté. On retrouve les éléments de révolte dans la description qu'il fait de lui-même. Les signes de révolte sont divers.

On peut noter d’abord le contraste entre les vers 2 et 3 : ceux qui sont mis au ban de la société et que le bourreau attend sont en fait des êtres courageux qui ne se déjugent pas ; ce qui signifie que la société ne reconnaît pas les êtres de valeur.

Au vers 5, Hernani ironise contre la société : « comme on dit », et il poursuit le ton ironique dans le vers suivant.

Au vers 11, Hernani place en évidence (après la coupe) l’adjectif « libres », qualité essentielle que cultive l’homme révolté.

Le dernier vers parle de l'échafaud : Hernani décide d’emblée de ne jamais espérer retrou­ver une place dans cette société qu’il a décidé de fuir.

 

 

Études complémentaires

Le héros et ses compagnons

On peut prolonger l'étude du caractère exposi­tif de cette scène en se demandant ce qu’on apprend sur Hernani dans ce passage. Sa situation est la même que celle de ses camarades :

  • il est comme eux proscrit, il est même traité de « bandit », avec un jeu de sonorités entre « bande » et « bandit » qui montre bien qu’il est logé à la même enseigne que ses compagnons ;
  • comme eux il sait qu’il finira sur l’échafaud, et le dernier vers répond au vers 3 ;
  • mais le « sang à venger » est pour lui précisé : c’est le sang de son père.

Hernani ne connaît donc pas la solitude élitiste du héros de la première génération romantique. Il est le héros porteur des espérances de la révolte sociale, et en tant que tel appartient à la génération du romantisme social.

Le héros proscrit et son auteur

Que penser de ce qu’affirme Samia Chahine dans La Dramaturgie de Victor Hugo, à propos du personnage d’Hernani, sur la relation entre l’auteur et son personnage ?

« Victor Hugo lui-même a joué le rôle de pros­crit. Dans l’exil, il réalisait enfin, sur le mode réel, une ancienne et puissante fantaisie : être proscrit comme Lahorie, comme Chateaubriand, qui jouaient depuis longtemps le rôle d’une puis­sante “imago”. Si la proscription eut pour lui un pouvoir libérateur, ce fut en grande partie parce qu’elle réalisait une tendance impérieuse jusque- là réprimée. Cette force correspond à celle qui contraint le poète à créer : le génie ; aussi l’exil marque-t-il l’épanouissement le plus complet de l’art hugolien. Il fut, pour Victor Hugo, moins un accident extérieur qu’une vocation, une mani­festation d’une destinée intérieure. »

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