La fin du XIXe siècle a vu la création du vers libre. Les poètes du début du XXe siècle vont plus loin dans l'Innovation. Les images de l’univers industriel, l’absence de ponctuation, l’insolite et les calligrammes sont autant d’illustrations de la manière dont est perçu le monde : fragmenté, changeant, enthousiasmant, mais aussi menaçant.

I- La poétique de la modernité

Le XXe siècle, dont on pressent qu’il sera l’ère de l’acier, du fer et du verre, l’univers des échanges et des communications, offre de nouveaux thèmes d’inspiration. Ainsi, le monde industriel est pris comme un réservoir d’images et d’associations poétiques. Larbaud célèbre l’univers ferroviaire sans craindre d’utiliser un vocabulaire technique (gares, rails, wagons, quais). Grâce à lui, et à Cendrars, la géométrie compliquée des bifurcations et des voies ferrées devient une poésie de la découverte. Les lignes, la complexité des réseaux sont vues comme autant de dessins insolites permettant de décrypter certains aspects du monde moderne. Le progrès se révèle aussi dans les villes, dont la brutalité industrielle est prise comme thème d’inspiration. Apollinaire s’attache à leurs aspects nouveaux, « hangars » d’aviation, à Paris, agitation des transports (les troupeaux d’autobus), publicités placardées un peu partout, lumières.

II- Une écriture novatrice

Les perceptions nouvelles d’un monde en évolution passent par des techniques d’expression nouvelles elles aussi. À la fragmentation des tableaux de R. Delaunay, correspond la fragmentation d’une écriture en rupture. En poésie, différentes interprétations sont possibles grâce à l’absence de ponctuation, remplacée par le rythme même et la coupe des vers.

  • L’écriture discontinue 

On l’observe dans la poésie de Cendrars, de Verhaeren, de Larbaud : alternance de vers courts et longs, absence de liens logiques, juxtaposition d’images et d’évocations qui donnent l’impression de se « télescoper ». Phrases nominales, énumérations de termes placés bout à bout créent une sorte de puzzle désordonné, comme dans le poème « j'ai toujours été en route... » de Cendrars :

Les démons sont déchaînés Ferrailles

Tout est un faux accord Le broun-roun-roun des roues Chocs

Rebondissements

La discontinuité est aussi celle des changements de pronoms personnels dans « Zone » d’Apollinaire :

À la fin tu es las. [...]

J’ai vu ce matin...

  • Les images insolites :

Elles viennent des rapprochements inattendus, comparaisons, métaphores, révélant et créant des analogies sonores, visuelles, enrichies par des inventions lexicales :

Les tramways feux verts sur l’échine Musiquent au long des portées De rails leurs folles de machines. (Apollinaire.)

ou encore :

La rue - et ses remous comme des câbles Noués autour des monuments Fuit et revient en longs enlacements. (Verhaeren.)

  • La suppression de la ponctuation

Adoptée par Apollinaire dans Alcools, elle brouille les repères donnés au lecteur et permet des lectures multiples, en jouant sur l’organisation des groupes syntaxiques, la structure du vers et les rythmes. Ainsi, dans la première strophe du « Pont Mirabeau », le vers 2 peut se rattacher au premier ou au troisième :

Sous le pont Mirabeau coule la Seine/ Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne/ La joie venait toujours après la peine

Elle accentue l’incertitude, l’ambiguïté, favorise l’hésitation dans l’évocation d’états psychologiques et en souligne la complexité.

  • Les calligrammes :

Ce mode d’écriture qui associe le texte et le dessin est une tentative pour utiliser les possibilités figuratives du vers, en tant que succession de mots, malléable et transformable. La ligne horizontale et droite du vers devient courbe, ou suite décalée de termes, ou encore ligne oblique, ou sinueuse, de longueurs différentes, de formes variables. Le calligramme associe un titre, un texte et sa représentation figurative. Le dessin renvoie au titre, le texte s’y associe de manière souvent symbolique. Ainsi, dans « La colombe poignardée et le jet d’eau », les deux éléments du titre sont identifiables, mais le rapport entre l’énumération des noms cités et le jet d’eau n’est pas clairement indiqué. L’ensemble de ces innovations témoigne d’une libération et d’une souplesse plus grandes. L’infinité des possibilités que semble offrir la modernité apporte aux artistes une créativité qui paraît elle-même sans limites.

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