La poésie est avant tout un travail sur le langage, considéré comme producteur de son avant même d’être producteur de sens. Le texte poétique se définit d’abord comme une musique. Traditionnellement, cette musique est codifiée : ce sont les rythmes, les mesures, les accents, les répétitions organisés par la versification. Mais même plus libre, le poème contemporain est encore recherche de son. Le travail sur le sens, lui, doit jouer des ressources inattendues du langage : images, figures de style, expansions du nom, qui contribuent à susciter chez le lecteur cette émotion particulière qu’on appelle, faute de pouvoir la cerner plus rationnellement, l’émotion poétique. Le langage atteint alors une dimension magique de création d’un univers : en grec, poiein signifie « fabriquer », créer. Le poète est créateur, mais le lecteur aussi, car la densité du texte poétique, de ses connotations, est rebelle à toute fixation définitive du sens.

Caractéristiques de l'écriture poétique

La répétition, parce qu’elle possède un pouvoir incantatoire et structure un espace sonore, est une des constantes de la poésie. Ce principe de répétition se retrouve d’un vers à un autre dans la rime, dans la reproduction du même nombre de syllabes, dans le rythme. Il se retrouve d’une strophe à une autre par le nombre de vers de chaque strophe, par la pratique éventuelle du refrain. Il est un des ferments du style : l’allitération et l’assonance interviennent fréquemment, ainsi que l’anaphore, les reprises de termes en écho, les parallélismes. Autant de moyens stylistiques que la poésie contemporaine multiplie lorsqu’elle abandonne la versification.

C’est sur ce fond de répétition que se crée la surprise également caractéristique de la poésie : un cliché est renouvelé, une image inattendue surgit, un mot trouve un sens nouveau. La répétition elle- même encadre l’audace créatrice, qui est travail sur le langage et uniquement sur le langage. Jean Cohen disait (.Structure du langage poétique) que le poète « est un créateur non d’idées, mais de mots. Tout son génie est dans l’invention verbale. On a pu définir la poésie lyrique par sa banalité même, un même répertoire de grands sentiments, qui sont le lot commun de l’humanité, lui fournissant ses thèmes inépuisables d’inspiration. Mais la banalité est dans l’exprimé, non dans l’expression. »

On voit par là que la poésie se caractérise aussi par des thèmes récurrents, tout le travail du poète étant de les renouveler. Ces thèmes sont ceux du lyrisme universel : l’amour, la mort, la nature, l’espoir et la désespérance, l’aspiration vers Dieu ou vers un idéal.

La poésie et son public du Moyen Age à nos jours

C’est au XIIe siècle qu’apparaît la poésie en langue vulgaire (le roman, qui deviendra le français). Ses réussites formelles et thématiques doivent évidemment beaucoup aux recherches des poètes latins du haut Moyen Age. Peu à peu, grâce aux trouvères et aux troubadours, cette nouvelle poésie se fait connaître et apprécier : le lyrisme de la fin ‘Amor triomphe, mais n’exclut pas d’autres sujets. L’interprétation orale revêt alors une grande importance ; les poèmes étant lus ou récités, la prestation de l’interprète est la réalisation concrète, physique, du poème. On recherche ceux qui sont capables des meilleures dictions, ceux qui savent mettre le texte en relief, le transformer en spectacle. Dans les biographies occitanes, en particulier, il est souvent fait mention de la « belle voix » que possède tel ou tel troubadour.

Au XVIe siècle, les récitations des trouvères et des troubadours sont progressivement relayées par la pratique de la lecture. Mais on s’efforce de ne pas oublier que la poésie est musique ; de nombreuses œuvres se répandent sous leur forme chantée. C’est le cas d’un certain nombre de poèmes d’amour de Ronsard. Cependant, au cours des siècles suivants, la poésie française se transmet surtout par l’écrit, ce qui nuit parfois aux recherches sur la relation entre la poésie et la musicalité de la langue. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que cette dimension soit de nouveau pleinement reconnue (Verlaine). Autre conséquence de cette tradition écrite, la poésie en France est restée plutôt l’affaire des gens cultivés sachant lire, et ne s’est pas beaucoup enracinée dans la culture populaire, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, en Russie par exemple.

Le XVIe siècle : formes fixes et illustration de langue française

Au siècle précédent, la poésie s’était progressivement enfermée dans la stérilité de la pure virtuosité du langage, de la prouesse rhétorique. Avec Marot elle sait retrouver plus de naturel.

Ensuite les poètes de la Pléiade en font l’instrument essentiel du renouvellement de la langue. Pour eux, elle est l’espace privilégié où peut se créer la richesse du français (Défense et illustration de la langue française). Ils n’hésitent donc pas à favoriser dans leurs poèmes les inventions lexicales, syntaxiques, et le surgissement d'images. Mais, s’ils refusent les formes du Moyen Age (rondeau, ballade...), ils accueillent les formes antiques (ode, épopée...) et surtout le sonnet italien. Car leur but n’est pas la nouveauté en soi, mais l’imitation créatrice. Ronsard et Du Bellay écrivent de nombreux sonnets. Ronsard rédige des odes, des hymnes, des discours, et tente même une épopée racontant l’histoire de la France, La Franciade.

La fin du siècle voit apparaître la poésie baroque, avec les poèmes d'amour du protestant Agrippa d’Aubigné ; il cultive les images, les allégories, les métaphores hardies, parfois même hermétiques, et certains passages sont d’une grande puissance visionnaire, puisant aux sources bibliques.

Le XVIIe siècle : Poèmes baroques et pièces classiques en vers 

Les poètes baroques comme Théophile de Viau ou Saint- Amant cultivent les richesses de l’imaginaire, en privilégiant les images originales, les recherches stylistiques complexes, les ivresses sensuelles, religieuses ou morbides. Un souvenir de la poésie baroque subsistera dans les poèmes amoureux et mondains des poètes précieux (Voiture). Mais Malherbe rejette ce qu’il considère comme des outrances et établit par son œuvre même, et les annotations qu’il y porte, les règles de la poésie classique.

Il faut remarquer que souvent les auteurs semblent oublier la spécificité du genre poétique et font du langage poétique un mode d’expression à l’intérieur un autre genre. C’est ainsi que de très belles pages de la poésie française du XVIIe siècle se trouvent dans les tragédies de Corneille ou de Racine. C’est ainsi que Boileau utilise les ressources de la rime non seulement pour écrire ses satires sociales, mais aussi pour mettre en place, dans son Art poétique, sa théorie littéraire du classicisme. Cependant, une œuvre poétique spécifique est à signaler à l’époque classique, celle de La Fontaine, qui a eu l’intuition de reprendre la tradition des fabulistes de l’Antiquité. Il a fait de ses fables d’authentiques poèmes, tout en prenant d’heureuses libertés avec la versification traditionnelle.

Le XVIIIe siècle : l'écriture poétique n’est plus au centre de la quête du sens

Le XVIIIe siècle a tendance à considérer la poésie comme secondaire. Il lui reproche d’être un genre mondain ou un exercice intellectuel. Et il est vrai, que dans la première partie du siècle, la poésie est décadente. Le seul poète de cette époque est Voltaire. Il connaît un succès réel avec son épopée La Henriade. Il écrit en vers Le Mondain ou le Poème sur le désastre de Lisbonne, car il pense que les vers sont un moyen efficace de transmettre sa pensée. Il se montre très à l’aise dans l'épître, lettre versifiée qui lui donne l’occasion d’exprimer ses prises de position. Mais ces exemples mêmes montrent que, pour lui, la poésie « est un instrument de la raison » au service de l’esprit philosophique. De ce fait, elle n’est plus guère qu’une habile versification.

Le genre ne retrouve sa vitalité qu’à la fin du siècle, avec Delille et Chénier, deux poètes qui rendent leur rôle à l’imagination et débarrassent un peu la poésie du fatras mythologique et rhétorique dans lequel elle s’était enfermée.

Il faut cependant noter que la seconde moitié du siècle voit se développer une prose poétique annonciatrice de la poésie romantique, comme le montrent certaines pages de Rousseau. Diderot d’ailleurs pressent cette montée nouvelle de la poésie : il regrette que celle de son temps soit fade et affaiblie, il souhaite le développement d’une poésie des orages et des passions.

Le XIXe siècle : Poètes  romantiques, parnassiens et symbolistes

En 1820, Les Méditations poétiques de Lamartine donnent le coup d’envoi à la génération romantique. C’est une poésie lyrique : Lamartine pleure l’aimée disparue. Musset (Les Nuits) expose les tristesses et les angoisses de l’amoureux et du poète. Ce lyrisme est approfondi par l’amour de la nature, et par l’idée que le destin personnel rejoint le destin collectif : Vigny, dans Les Destinées, s’interroge sur le devenir de toute la Création ; dans La Légende des siècles, V. Hugo bâtit l’épopée de l’être humain marchant vers le progrès.

Mais la contestation d’un Th. Gautier, pourtant romantique à l’origine, aboutit au refus de la confidence et du message : le poète doit cultiver « l’art pour l’art », ne rechercher que la beauté de la description. C’est aussi ce que pense Leconte de Lisle, qui fonde le Parnasse. Baudelaire fait la synthèse des apports du romantisme et de l’art pour l’art, et ouvre la voie au symbolisme. Mais ses Fleurs du Mal inaugurent aussi un nouveau mythe, celui du poète maudit : de la plongée dans le mal, du dérèglement des sens, peut naître la Beauté. Verlaine et Rimbaud le suivent dans cette voie : Rimbaud, d’une extraordinaire précocité, fait en cinq ans tout le parcours de la poésie traditionnelle (hugolienne et parnassienne) jusqu’aux tentatives profondément novatrices de ses poèmes en prose, puis il renonce à la poésie. Mallarmé approfondit les conquêtes du symbolisme ; homme tranquille dans sa vie privée, il réserve ses hardiesses à la seule écriture.

Le XXe siècle : renouveau poétique et imagination

Avant la guerre de 14-18, la poésie d’Apollinaire renouvelle à la fois la forme (disparition de la ponctuation ; calligrammes) et le fond (il décrit le monde moderne urbain et industriel).

Après la guerre, la volonté de changement suscite le surréalisme. Son but est de s’affranchir des traditions de l’écriture et de libérer l’imagination et le rêve en mettant en œuvre les acquis de la psychanalyse. Le poète A. Breton est le théoricien du mouvement, et il influence durablement de nombreux poètes. Même si la plupart refusent plus ou moins rapidement de se plier aux exigences de Breton, chacun assimile de façon personnelle certains aspects du surréalisme. C’est le cas d’Aragon, d’Éluard, mais aussi de Supervielle et René Char. Dans la première moitié du siècle, à l’écart du surréalisme, un solitaire domine la recherche poétique : Paul Valéry. Pour lui, la poésie est d’abord une forme et un rythme, une musique ; mais être poète, c’est aussi être penseur, et « La Jeune Parque » ou « Le Cimetière marin » offrent une méditation sur la conscience et la connaissance. C’est un travail obstiné, un calcul constant du poids et de la place du mot qui fait la création poétique.

D’autres poètes ont traversé le siècle en restant à l’écart de tout mouvement. C’est le cas de Michaux, qui n’hésite pas à faire, sous contrôle médical, l’expérience des drogues hallucinogènes pour découvrir plus profondément les images puissantes dont il est porteur. C’est aussi le cas de Saint- John Perse, qui utilise l’épopée, le mythe, les images exotiques pour peindre sa vie intérieure.

Actuellement, la poésie reste vivace avec des poètes à l’imagination féconde : Guillevic, Bonnefoy... De nombreux poètes peuvent s’exprimer dans des revues souvent régionales, qui ont du mal à subsister, mais qui participent activement à la vie culturelle locale (exemple, la revue Sud).

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