Rédigez une synthèse de ces trois textes en 150 mots

Texte n° 1

Le procès que l’on fait périodiquement aux intellectuels (depuis l’affaire Dreyfus, qui a vu, je crois, la naissance du mot et de la notion) est un procès de magie : l’intellectuel est traité comme un sorcier pourrait l’être par une peuplade de marchands, d’hommes d’affaires et de légistes : il est celui qui dérange des intérêts idéologiques. L’anti-intellectualisme est un mythe historique lié sans doute à l’ascension de la petite bourgeoisie. Poujade a donné naguère à ce mythe sa forme toute crue le poisson pourrit par la tête »). Un tel procès peut exciter périodiquement la galerie comme tout procès de sorcier ; son risque politique ne doit pas être cependant méconnu : c’est tout simplement le fascisme, qui se donne toujours et partout pour premier objectif de liquider la classe intellectuelle.

La situation historique de l’intellectuel n’est pas confortable ; non à cause des procès dérisoires qu’on lui fait, mais parce que c’est une situation dialectique : la fonction de l’intellectuel est de critiquer le langage bourgeois sous le règne même de la bourgeoisie : il doit être à la fois un analyste et un utopiste. Figurer en même temps les difficultés et les désirs fous du monde ; il veut être un contemporain historique et philosophique du présent : que vaudrait et que deviendrait une société qui renoncerait à se distancer ? Et comment se regarder autrement qu’en se parlant?

Roland Barthes, « Des intellectuels pour quoi faire ? » © Le Monde, 15 novembre 1974.

Texte n°2

L’intellectuel est donc pour moi celui-là seul qui n’accepte aucun fait, aucune idée sans l’avoir examiné aux lumières convergentes de l’expérience et de la raison critique. Il doit penser et se penser dialectiquement, dans une langue intelligible à tous : exposer toutes les contradictions de toutes les sociétés, la sienne y compris, de tous les individus, soi-même compris, et tenter de les résoudre sans faire comme nos intelligentsias qui se bornent, en général, à décapiter la thèse et l’antithèse de la contradiction. L’intellectuel, lui, n’a pas de vérité à majuscule car il sait que la vérité n’est qu’un point asymptotique. Cela ne l’empêche pas d’être prêt à mourir, tous les jours, pour quelques vérités sans majuscule, la justice, la vérité, la liberté, afin d’exercer en toute rigueur cette fonction de contestation à l’égard de tous les pouvoirs, fonction que la Chine impériale et la Constitution républicaine de SunYat-Sen avaient institutionnalisée. Nos intelligentsias, elles, disposent de vérités à majuscule. Autant qu’il en faut pour se faire de nouveaux Pérou : autant d’or en barre, au sens propre, pour ces messieurs-dames.

Étiemble, © Le Monde, ibid.

Texte n° 3

Hélas! Ce mot d’intellectuel cache des complexes : la timidité de ceux qui s’en servent pour se désigner, la dépréciation latente des adversaires. Du point de vue de ceux-ci, l’intellectuel (analyse freudienne!) usurpe l’intelligence parce qu’il souffre de ne la point posséder, il cherche des secours - ainsi dans l’obscurité ou la spécialité du langage ; plus encore : dans le recours à ce que Paulhan et Merleau-Ponty ont appelé « la terreur ».

Je n’approuve pas ces psychanalyses de l’intellectuel pour lequel j’ai du respect, mêlé d’un peu de crainte. Au fond, je pense qu’il y a deux genres d’esprits :

— ceux qui donnent davantage à l’intuition, au contact immédiat avec le réel et qui se moquent de la mode, de l’ambiance, du succès immédiat ;

—ceux qui donnent davantage à l’art, à la technique, à la logique et qui s’adaptent à la situation politique.

Avec cet étalon, je classe César parmi les intelligents et Cicéron parmi les intellectuels. Et je me propose les couples : Pascal-Bossuet, Proust-Valéry. Et Paul Valéry m’apparaît comme l’intellectuel de génie et qui a eu le génie de se connaître lui-même comme tel. M. Teste, c’est l’intellectuel devenu si bien intelligence pure qu’il se vide de tout, et qu’il renonce à plaire et à réussir.

Jean Guitton, © Le Monde, ibid.


Lecture des textes et plans

Texte n° 1 : R. Barthes

1. Procès de l’intellectuel:

a. les reproches: magicien (depuis l’affaire Dreyfus);
b. les accusateurs: suspecté par les petits-bourgeois;
c. la signification : anti-intellectualisme teinté de fascisme.

2. Fonction de l’intellectuel:
a. analyste
—de la réalité;
— de la bourgeoisie;
b. utopiste: rêve le monde.

Texte n° 2 : Étiemble

1. Définition de l’intellectuel:
a. doué de l’esprit de raison;
b. doué d’esprit critique.

2. Son rôle:
a. parler clair, se faire comprendre;
b. faire surgir les contradictions;
c. résoudre les problèmes.

3. Ses qualités:
a. la sincérité;
b. l’irrévérence, l’esprit de contestation;
c. le désintéressement.

Texte n° 3 : J. Guitton

1. Le mauvais intellectuel:
a. individu complexé, peu intelligent parfois;
b. cultive l’obscurité (terrorisme du langage).
2. Les deux catégories d’esprits:
a. les intelligents : don inné, sens du réel (César, Pascal, Proust);
b. les intellectuels : réflexion, travail, application (Cicéron, Bossuet, Valéry).

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Plan général de la synthèse

1. Le mauvais intellectuel:

a. Élitiste

— ésotérique, magicien (Barthes);
— hermétisme du langage (Étiemble, Guitton);
b. Mauvaise foi:
— simplifie les problèmes (Étiemble);
— utilise la bourgeoisie pour la critiquer (Barthes);
c. Étroitesse d’esprit
— calcul, vénalité, travail (Etiemble et Guitton).

2. Le bon intellectuel:

a.’ L’honnête homme (expérience + raison critique) (tiemble);
b. L’homme intelligent (Guitton);
c. L’homme libre et indépendant (Étiemble).

3. Le rôle de l’intellectuel:

a. Analyser le présent (Barthes);
b. Faire surgir les problèmes et les résoudre (Étiemble);
c. Imaginer l’avenir (Barthes).

4. Conclusion : Méfiance à l’égard des intellectuels de la part:

a. de la psychanalyse (Guitton);
b. de la petite-bourgeoisie (Barthes);

c. des intellectuels eux-mêmes (Étiemble).

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Synthèse rédigée

Quelle est l’image des intellectuels aujourd’hui ?

Elle apparaît souvent négative. D’abord à cause de l’élitisme de l’intellectuel, fondé, d’après Barthes, sur son goût du mystère, sur l’hermétisme de son langage pour Étiemble et Guitton. Ensuite à cause de sa mauvaise foi qui simplifie les problèmes prétend Étiemble, ou qui peut tromper les autres ajoute Barthes. Enfin pour son étroitesse d’esprit reconnue par les deux derniers textes.

L’intellectuel idéal se rapprocherait, précise Étiemble, de l’ « honnête homme » qui conjugue expérience et raison critique, du penseur libre et « intelligent » suggère Guitton. Son rôle est alors, pour Barthes, d’analyser le présent et d’imaginer l’avenir, d’identifier les problèmes et de les résoudre estime Étiemble.

Toutefois les intellectuels restent l’objet de la méfiance : Guitton note la suspicion de la psychanalyse, Barthes celle de la petite bourgeoisie, Étiemble celle des intellectuels eux-mêmes.