Issu d’Une conspiration en 1537, scène historique que George Sand donna à Musset, et de plusieurs autres sources, commencé en août 1833, interrompu par un voyage en Italie, repris d’avril à juillet 1834, ouvrant le tome I du Spectacle dans un fauteuil publié en août 1834, le drame a été pourtant écrit en dehors des contraintes scéniques de son époque. Lorenzaccio devra attendre le 3 décembre I896 pour être joué, mais mutilé, au Théâtre de la Renaissance avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre. La pièce sera représentée quasi intégralement en 1925 avant d’entrer au répertoire de la Comédie-Française en 1927. 

Résumé de Lorenzaccio (par actes)

Acte I. Florence. En compagnie de Lorenzo, son cousin, compagnon de débauche et proxé­nète, le duc Alexandre de Médicis attend un soir dans un jardin une jeune fille dont le frère le surprend (1). Au petit matin devant une maison en fête, bourgeois et écoliers commentent la vie à Florence. Salviati, un familier du duc, outrage Louise Strozzi (2). Partant dans ses terres, le marquis Cibo prend congé de sa femme, alors que son frère cardinal tente de calmer l'indi­gnation patriotique de la marquise (3). Dans son palais, le duc s'emporte contre l'envoyé du pape qui dénonce les républicains, les désordres de la cour et I' «athée» Lorenzo, lequel s'évanouit devant une épée (4). Devant une église, des gens de Florence évoquent la situation de leur patrie (5). Sur le bord de l'Arno, Catherine, la tante de Lorenzo, tente de réconforter Marie Soderini, la mère du débauché (6).

Acte II. Chez les Strozzi, Pierre, malgré les conseils de Philippe, son père, décide de venger Louise (1). Devant le portail d'une église, Lorenzo raille l'idéalisme et le patriotisme du peintre Tebaldeo (2). Chez la marquise Cibo, le cardinal entreprend de se servir d'elle, car elle est éprise du duc (3). Chez sa mère, Lorenzo, ému, annonce qu'il se passera bientôt quelque chose d'extraordinaire quand arrive Alexandre, qui lui rappelle qu'il convoite Catherine (4). Au palais Strozzi, le sort de Pierre inquiète Philippe (5). Dans son palais, le duc pose pour Tébaldeo, plaisante avec Lorenzo et ne peut retrouver sa cotte de maille (6). Entre Salviati, couvert de sang, criant vengeance contre ses assaillants, Pierre et Thomas Strozzi (7).

Acte III. Dans sa chambre, Lorenzo fait des armes avec Scoronconcolo (1). Chez les Strozzi, Pierre expose à son père le plan que lui et ses amis ont conçu contre le duc (2). Pierre et Thomas sont arrêtés, et Lorenzo annonce à Philippe son intention de tuer le duc (3). Catherine reçoit un billet du duc (4) que la marquise, l'agaçant, tente de convertir aux réformes libérales cl au patriotisme (5, 6). Lors d'un banquet chez les Strozzi, Louise est empoisonnée (7).

Acte IV. Lorenzo promet au duc un rendez-vous avec Catherine dans sa propre chambre pour le soir même (1). Alors que Pierre et Thomas sont libérés et apprennent la mort de leur sœur (2), Lorenzo prend ses dispositions pour l'assassinat du duc (3), et la marquise, refusant de servir les intérêts du cardinal en regagnant le cœur du duc, avoue sa faute à son mari (4). En présence de Catherine, Lorenzo arrange sa chambre pour le rendez-vous (5). On enterre Louise; Pierre reproche à son père désespéré de ne pas agir et part en exil chez le roi de France pour susciter une révolte, alors que Lorenzo annonce aux républicains incrédules l'imminence du meurtre (6, 7, 8). La nuit, seul sur une place, Lorenzo médite sur son acte (9). Le cardinal met le duc en garde (10). Alexandre se rend dans la chambre de Lorenzo qui le tue (11 ). 

Acte V. Au palais, on choisit un nouveau duc et le cardinal fait élire Corne de Médicis (1). A Venise, Philippe Strozzi félicite Lorenzo, dont la tête est mise à prix et qui doute de la capacité des républicains à prendre le pouvoir (2). Alors que Pierre se rend compte qu'il a été dupé par le roi de France (4), les bourgeois de Florence commentent les événements, mais rien ne bouge (3 et 5). À Venise, Lorenzo apprend que sa mère est morte avant d'être lui-même assas­siné (6). À Florence, Cóme de Médicis prononce son discours d'intronisation, dicté par le cardinal (7).

Analyse du drame: 

Mettre en scène une cité

Pièce en prose, Lorenzaccio semble représenter aujourd’hui le drame romantique type : trente huit scènes avec trente huit changements de lieux et seize décors (32 scènes se déroulent à Florence, 2 à Venise, 2 à la campagne, 1 dans une auberge, 1 à Montolivet; 7 décors extérieurs sont le cadre de 16 scènes, et 9 décors d’intérieur concernent 22 scènes - Une conspiration en 1537 compor­tait six tableaux,). Une durée de neuf jours, trois intrigues savamment mêlées, une thématique rassemblant Histoire, mal du siècle, violence, meurtre, amour, masque, art et pensée, recours à toutes les tonalités jusqu’au tragique de l’absurde, le drame est la mise en scène de toute une société, des bourgeois aux courtisans, des écoliers aux bannis, des spadassins aux grandes familles, des marquises aux cardinaux, et de toute une ville prestigieuse de la Renaissance italienne, Florence, ce qui explique la présence de l’artiste Tebaldeo, ainsi que les références à l’Antiquité romaine. *

 

 

 

Le statut des personnages dans Lorenzaccio

Figures brisées de Philippe Strozzi, de son fils Pierre, prêt à trahir Florence par ambition, de la marquise, patriote sincère, mais qui perd sans effet sa vertu, figures féminines intactes, mais condamnées à souffrir (Catherine et Marie Soderini, cette mater dolorosa) ou à être des proies pour un duc prédateur (l’agnelle Louise Strozzi) : toutes s’opposent à la figure machiavélique du cardinal Cibo, manipula­teur cynique et homme d’Église exclusivement dévoué aux intrigues politiques. Se mouvant très à l’aise dans cette ville infectée de débauche, le cardinal Cibo est le pendant de Lorenzo avec qui il partage le même mépris pour ceux qu’on mani­pule, et en premier lieu Alexandre et le peuple. Personnage du masque, le cardinal est lucide, comme Lorenzo, mais là où celui-ci voudrait parvenir à la vérité et au démasquage, Cibo a tout intérêt à maintenir cet ordre carnavalesque qu’il domine. On mesure combien Lorenzaccio évacue la spiritualité.

L’artiste Tebaldeo, qui refuse de peindre une courtisane pour ne pas prostituer son art, mais qui accepte de faire le portrait d’un tyran, permet de poser la question de la philosophie et de l’art, de dénoncer ironiquement la religion de l’art, le rêve de l’artiste en dehors de la cité, l’idée que le malheur de l’homme fertilise la création, le chatoiement des apparences et des mirages de la création artistique, tout ce qui en définitive le dégrade en œuvre d’un spectateur du monde, alors que la vérité de l’art est du côté du visionnaire.

Homme du mouvement, don Juan, condottiere, tyran, Alexandre sait qu’il tient son pouvoir dévoyé de puissances supérieures. Rustre lucide, autoritaire mais ami des arts, intelligent et cynique, il ne respecte que la force. Capable d’indulgence, il éprouve de l’affection pour Lorenzo. Sensuel, cruel, il déborde de vie et offre un contraste parfait avec son chétif cousin.

Complexe comme Hamlet, victime de son masque de débauché, nostalgique de sa pureté perdue, solitaire traversant tous les milieux, Lorenzo s’interroge sans cesse sur lui-même, sur une identité problématique, se référant notamment à Brutus, confondant, sciemment ou non, les deux grands Brutus de l’Histoire, le meurtrier de César et le héros républicain qui tua le roi Tarquin le Superbe pour venger le viol de sa sœur Lucrèce, qui, par analogie, se retrouve ainsi en Catherine. De Lorenzaccio à Lorenzetta, les jeux sur son nom font la somme de ses apparences successives, que le personnage dépasse toujours.

Monomane du meurtre, mégalomane, Lorenzo veut agir pour le bien d’une humanité qu’il met en balance sur le fil de son épée, mais ne peut faire se rejoindre son destin individuel et le destin collectif. Devenu homme, Protée par le jeu dangereux auquel il s’est livré, il ne bénéficie d’aucune rédemption. En définitive, Lorenzo apparaît comme un antihéros moderne.

Lorenzaccio : un drame pessimiste

A la fin du drame, Florence, cité faussement libre, est prise entre la domination de l’empereur, symbolisée par la citadelle occupée par une garnison allemande, et celle du pape, représenté par le cardinal Cibo. Véritable personnage, femme, mère ou prostituée selon le regard posé sur elle, la ville demeure une catin qui se vend à l’étranger. Aucune force sociale n’est à même de profiter du meurtre. Les républicains ne savent pas agir, Philippe Strozzi, grande figure morale, se dégrade en vieillard pathétique, le peuple, badaud plus qu’acteur de son destin, méprisant un Lorenzaccio qui le lui rend bien, est absent et les bourgeois divisés. Lorenzaccio met ainsi en scène de pessimisme historique de Musset et, plus largement peut-être, celui des romantiques après la comédie de 1830.

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