SUJET DE DISSERTATION :

Pour le romancier naturaliste, pensait Émile Zola, la description est « une nécessité de savant » et non « un exercice de peintre ». Vous apprécierez cette affirmation à la lumière des romans naturalistes que vous connaissez.

PLAN DE LA DISSERTATION :

La description semble souvent interrompre le récit de manière arbitraire. Elle est pourtant l’outil indispensable de l’investigation naturaliste du milieu, mais elle ne se limite pas au rôle scientifique que lui assigne ici Zola.

 

I - LA DESCRIPTION NATURALISTE : UNE NÉCESSITÉ DE SAVANT

Un indicateur du milieu

Le naturaliste veut d’abord être un savant: «Nous sommes des naturalistes qui ramassons simplement des insectes, qui collectionnons les faits », écrivait Zola. De même qu’un zoologiste se trouverait forcé d’étudier la plante sur laquelle vivent les insectes qu’il étudie, de même le romancier doit donc longuement étudier le milieu dans lequel baignent ses personnages. Depuis Balzac en effet, on ne peut plus ignorer que «l’homme ne peut être séparé de son milieu, qu’il est complété par son vêtement, par sa maison, par sa ville, par sa province ».

Connaître les hommes par les choses

Renonçant à jouer les narrateurs omniscients, les écrivains naturalistes présentent les choses qui environnent les personnages comme un monde de signes qui nous renseignent sur leur personnalité. Dans La Curée, on reconnaît le parvenu à son hôtel particulier, qui mêle « tous les styles », où l’or ruisselle sur les murs, affichant une réussite insolente ; on reconnaît l’insouciance de Mme de Marelle, dans Bel-Ami, aux quatre tableaux qu’elle laisse pendre du mur « au bout de cordons inégaux ». Leurs sujets naïfs, « une barque sur un fleuve », e un moulin dans une plaine », signent «  l’étudiante », la grisette entrée dans la bourgeoisie par un mariage inattendu. A l’inverse, Jésus marchant sur les flots, acheté à prix d’or par Walter, que l’on méprise pour ses origines juives, sert à attirer chez lui la bonne société.

Le rôle de la description dans le récit

Mais les choses ne sont pas le simple reflet des hommes, elles agissent sur eux. Alors que Stendhal, dans Le Rouge et le Noir, néglige le rôle de la nuit et de ses «voluptés molles » au moment où Julien prend la main de Mme de Rênal, Zola, dans La Curée, confère un rôle actif au Bois de Boulogne, à l’atmosphère enivrante et vénéneuse de la serre ou au vacarme du boulevard. Ils détraquent les sens de Renée comme l’odeur du linge sale ou le « choléra » de la grande maison ouvrière détraquent la cervelle de Gervaise dans L ‘Assommoir.

De même, l’élan de reproduction qui s’empare des bêtes au printemps explique le désir soudain de Jeanne pour Julien dans Une vie, comme le luxe tapageur des Folies Bergère, dans Bel-Ami, fouette les ambitions de Georges Duroy.

II - LA DESCRIPTION NATURALISTE : UNE OEUVRE D’ART

Les perspectives dans la description 

Cependant, portées par le regard des personnages, les mises en page originales de Zola ou de Maupassant se font tableaux, œuvres d’art plus que de science.

La plongée : c’est du haut de la fenêtre que Georges Duroy, dans Bel-Ami, puis Roubaud dans La Bête humaine, contemplent le chemin de fer et les « taches rouges, vertes et blanches des signaux ». Comme Zola le note dans Au Bonheur des Dames, la plongée écrase les verticales. Vues «en raccourci », les têtes des clientes cachent leurs corsages et les pancartes ne sont plus que des «lignes minces ».

La contre-plongée : ailleurs, Mme Desforges découvre « au-dessus d’elle, tout un peuple en l’air» Gervaise, observant du trottoir Coupeau et son apprenti au travail sur un toit, voit leurs silhouettes « grandies démesurément » par la perspective.

Gros plans insolites et fragmentation du champ de vision

Zola et Maupassant introduisent encore dans leurs descriptions la fragmentation du champ de vision et les gros plans insolites des impressionnistes. Cherchant Nana au bastringue, les Coupeau ne voient devant eux qu’un chapeau «dansant un chahut de tous les diables, cabriolant, tourbillonnant, plongeant et jaillissant» ; aux Folies Bergère, Duroy et Forestier, ballottés par la foule, ont « devant les yeux un peuple de chapeaux » tandis que le comte Muffat, voyeur familier des coulisses, entrevoit par effraction, comme Degas, «des coins de nudités, des blancheurs de peau» à travers des «portes battantes » ou des «fuites de mur» (Nana). Pointillisme, reflets et atmosphères

Pointillisme, reflets et atmosphères dans la description

Le pointillisme, l’importance accordée aux reflets, l’attention aux atmosphères sont solidaires de ces perspectives : «une foule active de points noirs emportés dans un mouvement de fourmilière » (Une page d’amour), une «vapeur de tabac» voilant de son fin brouillard la scène des Folies Bergère (Bel-Ami), les « ombres des feuilles » dansant sur la nappe ensoleillée du Moulin d’Argent (L ‘Assommoir), les glaces reflétant la grasse Lisa (Le Ventre de Paris) ou le «dos et les visages des passants » (Bel-Ami) autant d’images qui démontrent que la réalité n’est jamais donnée en dehors d’une impression subjective.

La description naturaliste entre métaphores et art visionnaire

Le jeu des métaphores permet de rendre la dimension visionnaire de la subjectivité, celle de l’auteur comme celle du personnage ; car le naturalisme n’est pas la photographie de la réalité, fût-elle cadrée de manière originale. Il donne à voir un point de vue. Nana n’est pas seulement une chanteuse de café-concert à la Degas, elle est grandie jusqu’ au mythe, c’est l’idole du sexe : son lit est « un trône, un autel» où Paris vient l’adorer. La Lison, emblème du progrès technique, remplace la femme aimée que Jacques ne peut tenir dans ses bras. Le Voreux ou la maison ouvrière sont des ogres qui disent la pitié de Zola pour les damnés de la mine ou du faubourg...

Pour conclure la dissertation :

L’affirmation de Zola est donc dictée par une intention polémique. Fort heureusement, le naturalisme ne se réduit pas au modèle scientifique qui l’inspire. Il fait place, comme toute œuvre d’art, au « tempérament» du romancier.